En France, dans le BTP, on manque cruellement d’ingénieurs qualifiés. L’accélération de la transition numérique en est en partie responsable, mais ce sont surtout les sociétés de conseil et leur management d’un autre âge qui fragilise une profession touchée par des rémunérations rognées et qui montre un intérêt croissant pour la RSE. Pour Karl Rigal, directeur marketing de Stedy, société de conseil en ingénierie et technologie nouvelle génération, il faut revoir l’approche du métier.
ConstructionCayola.com : Quels sont les postes les plus pénuriques et les secteurs qui ont le plus du mal à recruter ?
Karl Rigal : Dans le BTP, les postes les plus pénuriques sont principalement ceux impliqués dans la transition énergétique des bâtiments et les réseaux d’eau. Les ingénieurs d’études et chefs de projet (structures, CFO/CFA, CVC, VRD), mais aussi les ingénieurs en Contrôle Technique sont particulièrement recherchés. On manque également de conducteurs de travaux, de chefs de chantier, de cadres en études de prix, de géomètres, et bien sûr, de spécialistes maîtrisant les innovations numériques du secteur. Chez StedY, nous recevons beaucoup de demandes pour des consultants experts en BIM en particulier.
CC.com : Pourquoi 29 % des ingénieurs consultants en France se disent prêts à quitter le métier ? (cf dernière étude de Stedy).
K.R. : Ils sont même 41 % parmi les ingénieurs consultants évoluant dans l’ingénierie industrielle ! Les ingénieurs ne se reconnaissent plus dans le type de collaboration que leur propose l’immense majorité des sociétés de conseil et leurs pratiques managériales qui n’ont quasiment pas évolué depuis 30 ans : très faible souveraineté dans le choix des missions qu’ils assurent, manque d’autonomie et de projection quant à leur progression de carrière, et enfin, des rémunérations limitées du fait des importants taux de marges pratiqués par leurs employeurs sur les tarifs journaliers des consultants facturés à leurs clients. Quand on sait qu’on ne forme déjà pas assez d’ingénieurs en France pour répondre aux besoins du marché, avec un sous-effectif structurel de l’ordre 4 % par an et un manque à gagner associé estimé par le Syntec Ingénierie à un milliard d’euro chaque année, on se dit qu’il est urgent de mieux répondre aux nouvelles aspirations professionnelles des ingénieurs travaillant dans le conseil en si l’on ne souhaite pas les voir partir et hypothéquer plus encore la capacité d’innovation de l’industrie tricolore.
CC.com : Quelle pourrait être la contribution de StedY ?
K.R. : Proposer une nouvelle approche du métier, plus vertueuse, qui redonne de la capacité d’action et de projection aux talents comme aux clients de l’ingénierie externalisée, au bénéfice des deux. Car un ingénieur qui choisit de manière éclairée et volontaire sa mission, tout en bénéficiant d’une rémunération optimisée rendue possible par des taux de marge inférieurs de 7 à 15 points aux standards du marché, c’est un talent plus durablement engagé auprès de son employeur certes, mais surtout auprès de l’entreprise qu’il aura choisi d’accompagner pendant des mois, voire parfois des années !
CC.com : Comment la crise a modifié le comportement des ingénieurs, leurs choix de carrière ?
K.R. : La crise a accéléré certaines tendances qui étaient déjà à l’œuvre, sous l’impulsion notable des nouvelles générations entrant sur le marché du travail. Les ingénieurs en 2021 recherchent un meilleur équilibre vie pro / vie perso et surtout, plus de sens dans leur travail au quotidien, notamment des missions qui génèrent un impact positif sur la société. La citoyenneté d’une entreprise, sa « raison d’être », et la manière dont elle se saisit de sa responsabilité sociale et environnementale est désormais un des principaux critères de choix des étudiants et jeunes diplômés en écoles d’ingénieur quand ils recherchent leurs futurs employeurs, un critère passé de la 11eme place en 2018 à la 3eme en 2020 dans l’enquête Harris Interactive qui s’intéresse chaque année à leurs employeurs préférés. Et la filière BTP bénéficie pleinement de cette tendance : avec 11 points de progression, ce secteur regagne de l’attractivité auprès des jeunes ingénieurs, qui y voient la possibilité de contribuer très concrètement à la construction du monde de demain. Et c’est une excellente nouvelle !