Face aux risques les plus graves inhérents à l’acte de construire, le législateur a opté pour un mécanisme assurantiel obligatoire à double détente défini aux articles L 242-1 et A 234-1 annexe II du Code des Assurances : l’assurance dommages ouvrage (DO), souscrite par - ou pour le compte - du maître de l’ouvrage, a pour objet de préfinancer la réparation du désordre de nature décennale, l’assureur DO exerçant ensuite un recours subrogatoire à l’encontre du ou des assureurs de responsabilité décennale (RCD) des constructeurs concernés.
La procédure d’indemnisation repose sur le principe d’une expertise amiable d’ordre public qui connaît deux phases insérées dans de stricts délais :
Celle de l’expertise où la réception de la déclaration de sinistre fait courir un délai de 60 jours à l’issu duquel l’assureur DO doit avoir notifié à l’assuré un principe ou un refus de garantie et lui avoir communiqué préalablement (1) - ou concomitamment depuis le réforme des clauses types issue de l’arrêté du 19 novembre 2009 (2) – le rapport préliminaire de son l’expert.
Celle de l’indemnisation où dans un délai de 90 jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre, l’assureur DO qui a accepté la mise en jeu de sa garantie, doit présenter à l’assuré une offre d’indemnité. Par exception, ce délai de 90 jours peut être prorogé sans pouvoir excéder 135 jours.
L’article L 242-1 susvisé définit les sanctions applicables à l’assureur DO qui ne respecte pas ces délais ou présente une offre d’indemnisation manifestement insuffisante : L’assuré peut engager, après l’avoir notifié à l’assureur, les dépenses nécessaires à la réparation des dommages, étant précisé que l’indemnité due par l’assureur sera alors majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux d’intérêt légal.
La Cour de cassation y a ajouté des contraintes supplémentaires en privant l’assureur DO de la possibilité d’opposer à son assuré un refus de garantie. L’assureur ne peut plus ainsi ni contester la nature décennale du désordre déclaré (3), ni opposer une nullité du contrat d’assurance pour fausse déclaration intentionnelle (4), ni se prévaloir du caractère apparent des désordres à la réception ou d’un défaut d’aléa (5), ni opposer l’expiration du délai décennal ou la déchéance de l’article L 121-12 du Code des assurances (6), ni opposer une prescription biennale antérieurement acquise (7).
Ces sanctions ne seront appliquées qu’aux dommages déclarés à l’assureur DO (8) et affectant l’ouvrage assuré (9). L’assureur ne sera en outre tenu que du coût objectif des travaux nécessaires à la réparation du dommage (10).
De cette obligation d’une réparation objective du dommage, la Cour de cassation a déduit l’obligation pour l’assureur DO de garantir également l’efficacité des travaux de reprise préfinancés. La Cour de cassation estime que « le maître d’ouvrage ayant souscrit une assurance dommages-ouvrage est en droit d’obtenir le préfinancement des travaux de nature à mettre fin aux désordres » (11).
Dans ce contexte de sévérité à l’égard de l’assureur DO, s’est posée la question de savoir si le non respect des délais prescrits à l’article L 242-1 susvisé pouvait justifier que soit mise à la charge de l’assureur fautif l’indemnisation d’un préjudice immatériel lorsque cette garantie facultative n’a pas été souscrite.
La Cour de Cassation en a refusé le principe au motif que l’article L 242-1 fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur à ses obligations (12). Cette solution est néanmoins limitée à l’hypothèse où la seule faute de l’assureur DO tient au non respect des délais de 60 ou 90 jours applicables en la matière.
Si l’assureur DO commet une faute distincte de ce non respect, sa responsabilité contractuelle reste envisageable sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, l’assuré pouvant dans ce cadre prétendre à l’indemnisation de ses préjudices notamment immatériels même si aucune garantie n’a été souscrite de ce chef. La Cour de Cassation a ainsi admis que l’assuré puisse rechercher la responsabilité contractuelle d’un assureur DO qui « avait proposé à l’acceptation de son assuré non professionnel, un rapport d’expertise unilatéral défectueux conduisant à un préfinancement imparfait qui, de plus, avait été effectué avec retard » et qu’il puisse obtenir réparation d’une perte d’exploitation nonobstant l’absence de garantie souscrite pour les dommages immatériels (13). La même sanction a été appliquée au bénéfice d’un assuré sollicitant l’indemnisation d’un trouble de jouissance et s’agissant d’un assureur DO dont l’expert avait rendu « un rapport très succinct et dubitatif » préconisant « des reprises minimes insuffisantes » (14).
Dans ce contexte, le non respect de la procédure contractuelle instaurée par l’article L 242-1 n’affecte pas le recours que l’assureur DO peut exercer – s’il justifie du paiement de l’indemnité et donc de sa subrogation au plus tard au jour où le Juge statue sur ses recours (15) – à l’encontre des constructeurs et de leurs assureurs de responsabilité. Sauf en ce qui concerne l’intérêt majoré au double du taux d’intérêt légal, ces derniers ne pourront tirer argument des fautes éventuelles de l’assureur DO et doivent assumer la charge finale de la réparation des désordres relevant de l’article 1792 du Code civil et des dommages immatériels consécutifs (16).
Par Emmanuelle Menard
Avocat Associée, Racine Bordeaux
www.racine.eu
Et
Emmanuel Guerin
Élève avocat, CRFPA Bordeaux
(1) Civ. 3ème 18/02/2004 n°02-17976 et 04/01/2006 n° 05-13727
(2) Arrêté du 19/11/2009 publié au JO du 27/11/2009
(3) Civ 3ème 20/06/2007 n°06-13565
(4) Civ 3ème 28/01/2009 n° 07-21818
(5) Civ 3ème 01/03/2006 n°04-13190
(6) Civ 3ème 10/12/2002 n°00-11125
(7) Civ. 3ème 26/11/2003 n°01-12469
(8) Civ 3ème 10/12/2002 précité
(9) Civ 3ème 18/12/2002 n°99-16551
(10) Civ 1ère 29/02/2000 n°97-19680, 3ème 28/10/2003 n°01-15574
(11) Civ 3ème 07/12/2005 n°04-17418, 20/06/2007 n°06-15686, 11/02/2009 n°07-21761
(12) Civ 3ème 17/07/2001 n°98-21913, 17/11/2004 n°02-21336, 7/03/2007 n°05-20485, 22/05/2007 n°06-13281
(13) Civ 3ème 24/05/2006 n°05-11708
(14) Civ 3ème 11/02/2009 n°07-21761
(15) Civ 3ème 08/09/2009 n°08-17012
(16) Civ 3ème 01/03/2006 n°04-20399, 04-20551