Prévenir les risques résultant de la pénibilité de certaines situations de travail et, en cas d’insuffisance de cette prévention, permettre un départ anticipé à la retraite des salariés particulièrement exposés : tels sont les objectifs visés par les lois des 9 novembre 2010 et 20 janvier 2014, qui constituent le socle du dispositif de prévention de la pénibilité. L’entrée en vigueur du second de ces textes le 1er janvier 2015 et la publication prochaine de ses nombreux décrets d’application sont attendus avec appréhension par les entreprises qui redoutent la mise en place d’une nouvelle « usine à gaz », selon l’expression consacrée. Pour les entreprises du BTP, premières concernées par ces problématiques, c’est aujourd’hui le moment ou jamais de faire le point sur les règles existantes, pour être prêtes à absorber dans les meilleures conditions les décrets à venir.
Depuis 2010, le Code du travail prévoit expressément que l’employeur doit adopter des mesures de prévention de la pénibilité, c’est-à-dire de l’exposition de ses salariés à un ou plusieurs des dix facteurs de risque énumérés à l’article D. 4121-5, susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur leur santé. Parmi ces facteurs, figurent notamment les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, le bruit, les vibrations mécaniques… Pour assurer une traçabilité des expositions, l’employeur doit, pour chaque salarié exposé, établir et tenir à jour une fiche retraçant les conditions et périodes d’exposition, ainsi que les mesures de prévention adoptées . Une copie de cette fiche est adressée au salarié , au médecin du travail et, à partir du 1er janvier 2015, aux organismes gestionnaires du compte personnel de prévention de la pénibilité . Jusqu’à présent, il revenait à l’employeur d’apprécier si l’exposition du salarié aux facteurs de pénibilité était telle que le travail devenait « pénible ». Avec l’entrée en vigueur de la loi de 2014, cette appréciation résultera de l’atteinte de seuils fixés par décret , appréciée après application des mesures de protection individuelles et collectives dont disposent les salariés. Un accord doit être négocié
Par ailleurs, toujours depuis 2010, les entreprises dont au moins la moitié du personnel est exposée aux facteurs de pénibilité sont tenues, sous peine de sanctions financières , de négocier un accord ou d’adopter un plan de prévention de la pénibilité. En sont toutefois dispensés les entreprises ou groupes de moins de 50 salariés, voire de moins de 300 salariés s’ils relèvent d’un accord collectif de branche étendu de prévention de la pénibilité. Un tel accord ayant été conclu au sein de la branche BTP le 20 décembre 2011, seules les entreprises ou groupe du secteur de plus de 300 salariés sont tenus de négocier un accord ou d’adopter unilatéralement un plan de prévention . Aujourd’hui encore, l’employeur peut librement choisir d’emprunter l’une ou l’autre de ces voies. Mais, à compter du 1er janvier 2015, l’adoption d’un plan ne sera plus envisageable qu’en cas d’impossibilité de négocier un accord, c’est-à-dire en l’absence de représentants du personnel ou en cas d’échec des négociations. Par ailleurs, à compter de cette même date, seuls les salariés exposés au-delà des seuils réglementaires malgré les protections mises en place seront pris en compte pour déterminer si plus de la moitié du personnel est exposé. Le compte personnel de prévention de la pénibilité
Mais la grande nouveauté de la loi du 20 janvier 2014 est ailleurs. A compter du 1er janvier 2015, chaque salarié faisant l’objet d’une fiche de prévention des expositions disposera d’un compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP). L’exposition du salarié à un ou plusieurs facteurs de pénibilité sera traduite sous forme de points, selon des modalités qui restent à définir par décret . Ces points pourront être utilisés par le salarié à trois fins différentes. En premier lieu, ils pourront servir à prendre en charge une formation à un emploi moins pénible . Les premiers points accumulés sur le compte devront même être réservés à cet usage. En deuxième lieu, les points pourront financer un complément de rémunération des salariés exposés souhaitant travailler à temps partiel. A cet effet, la loi du 20 janvier 2014 crée un véritable droit, pour les salariés concernés, de passer à temps partiel, auquel l’employeur ne pourra s’opposer que s’il démontre que le passage à temps partiel n’est pas possible . En troisième lieu, les points accumulés sur le CPPP pourront permettre un départ anticipé à la retraite des salariés exposés par acquisition de trimestres supplémentaires et abaissement de l’âge légal de départ. La loi du 9 novembre 2010 avait déjà mis en place un dispositif de départ anticipé à la retraite des salariés victimes d’une incapacité permanente de 20 % au moins . Ce dispositif est maintenu et coexistera avec celui issu de la loi du 20 janvier 2014. Gestion des CPPP
La gestion des CPPP sera assurée par le réseau des CARSAT sur la base des fiches de prévention transmises par les entreprises. Le dispositif sera financé par deux cotisations supplémentaires dont devront s’acquitter, pour la première, l’ensemble des entreprises et, pour la seconde, les seules entreprises dont des salariés sont exposés à des facteurs de pénibilité .
Ces deux cotisations, le coût global du dispositif pour la collectivité et la complexité du mécanisme semblent aujourd’hui difficilement conciliables avec les objectifs de diminution des charges pesant sur les entreprises, de simplification des procédures s’imposant à elles et de rétablissement des finances publiques que s’est fixé le nouveau gouvernement. Son attention a été attirée sur ces questions, notamment à l’initiative d’entreprises du BTP ; les décrets d’application à venir diront si elles ont été entendues. Nicolas Pottier
Avocat à la Cour, Flichy Grangé Avocats
Ancien Secrétaire de la Conférence pottier@flichy.com