Le 24 mai dernier, une consultation internationale « sur le devenir des autoroutes, du boulevard périphérique et des voies rapides ou structurantes du Grand Paris » a été lancée. Alors que nous entamons une phase de transition d’un point de vue de la mobilité, comment les infrastructures routières sont repensées pour répondre aux enjeux actuels et l’arrivée de nouveaux modes de transport ?
Le réseau routier d’Ile-de-France apparait comme l’un des plus saturés d’Europe avec en moyenne plus de 15 millions de trajets effectués en voiture chaque jour. Une enquête réalisée par le site d’information routière V-Traffic, dont les résultats ont été publiés il y a quelques mois dans le JDD, fait état d’un trafic embouteillé jusqu’à 61% lors des pics horaires sur les axes franciliens et, plus particulièrement le périphérique. «Depuis la création de l’automobile, les technologies n’ont jamais engendré une décongestion du trafic routier. Lorsque l’on imagine l’avenir de ce dernier, certains pensent directement à une baisse des embouteillages, c’est ce que j’appelle la vision romantique de ce que permet la technologie. Or, en réalité, ce que l’on constate c’est plutôt un besoin croissant de mobilité », raconte Stéphane Kirkland, directeur du développement pour la métropole du Grand Paris au sein de la société Arcadis.
Aperçu du périphérique parisien embouteillé. Crédit : dani78
Une hausse des flux
La consultation internationale n’a pas vocation à entrainer la création de nouvelles routes mais, pose la question de l’optimisation du réseau magistral existant et de son insertion urbaine. Penser l’évolution des autoroutes, du boulevard périphérique et des voies rapides ne peut se faire sans prendre en compte les nouvelles technologies qui y circuleront demain ainsi que les besoins croissants de mobilité. Actuellement, les flux de marchandises représentent 700 000 mouvements de livraisons par jour, dont près de deux tiers dans le territoire de la métropole parisienne1. Toutefois, le succès du e-commerce, ayant passé les 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires cette année et dont la croissance est estimée à +15% par an, laisse présager une augmentation de ces flux. « La particularité de Paris est son espace de voirie contraint. En simplifiant, on peut dire qu’à l’exception des voies rapides (Bd périphérique), depuis Haussmann, les voiries parisiennes n’ont pas gagné une surface supplémentaire, alors que les besoins en mobilité se sont considérablement accrus », raconte Patrick LeCoeur, consultant indépendant en qualité d’expert en mobilité durable. Pour faire face à ses nouveaux enjeux liés en partie aux nouvelles façons de consommer, des solutions sont envisagées telles que l’exploitation de l’intelligence artificielle pour les véhicules autonomes. Ces derniers font leur entrée modestement dans l’hexagone mais leur massification est annoncée d’ici 2020-2025. L’Etat s’est même engagé à construire le cadre réglementaire permettant d’ici 2019, la circulation de ces types de véhicules partout en France. Pour les livraisons du dernier kilomètre, des robots seront d’ailleurs testés en ville en 2019. Favorable aux innovations, Patrick LeCoeur préconise toutefois l’exploitation des infrastructures existantes et l’intermodalité. « La plus grande avenue au centre de Paris n’est pas celle des Champs-Elysées mais bien la Seine. La capitale a la chance d’être traversée par un fleuve qui est aujourd’hui sous exploité en capacité de transport. De la même manière, nos dessertes ferroviaires pénètrent au cœur de la ville. L’intermodalité avec le fleuve et le rail est un axe majeur à développer pour répondre aux besoins croissants de livraison des marchandises. Une restructuration de notre chaîne logistique prenant en compte les différents modes de mobilité est possible à condition d’agir dans une concertation la plus large avec l’ensemble des acteurs concernés tout en mettant en place des systèmes économiquement viables. »
Créé par deux frères lyonnais, Twinswheel est un exemple de robot autonome conçu pour la livraison.Crédit: Twinswheel
Des investissements réduits
Par ailleurs, dans certaines agglomérations bien que le réseau routier soit en expansion, les moyens pour réparer les routes existantes apparaissent limités. « Par le passé nous avions l’habitude de créer des routes faites pour durer vingt ans », explique John Read, vice-président de Shell en charge de la R&D pour la technologie bitume. « Or, l’intervalle moyen de maintenance de nos chaussées est de quatre-vingt ans. S’il y a un décalage aussi conséquent entre la durée de vie prévue et l’utilisation réelle il en est de même pour les frais de maintenance. Par conséquent le budget alloué au réseau routier existant est loin d’être suffisant. » Pour Stéphane Kirkland, le problème général du réseau français n’est pas seulement un problème d’investissement. « Nous n’avons pas encore trouvé le bon modèle, c’est-à-dire comment parvenir à moduler les routes dans un environnement digital en changement permanent. Par nature, les infrastructures sont des investissements longs mais les technologies, elles, évoluent rapidement. » Les industriels ont bien pris la mesure de l’évolution de la mobilité depuis déjà plusieurs années. Plusieurs entreprises et centres de recherche développent des solutions innovantes et imaginent même les structures routières du futur.
Des solutions intelligentes et multifonctions
L’une d’entre elles, la technologie Power Road du groupe Eurovia a la capacité de capter l’énergie solaire, de la stocker et de la restituer via un système de pompes à chaleur selon les besoins saisonniers (par exemple, en hiver pour chauffer les bâtiments environnants ou dégivrer la route). Wattway, la route solaire de Colas est à la fois communicante et intelligente. Tout en produisant de l’électricité, elle gère en temps réel des informations sur l’état du trafic et réalise ses propres diagnostics de la chaussée. Dans la même optique de recherche de solutions multifonctions, l’Ifsttar2 étudie depuis 2009 la route de cinquième génération (R5G) c’est-à-dire une voie de circulation plus résistante, communicante voire même dépolluante. Ses recherches ont permis l’émergence de deux solutions. La première consiste à faire circuler un fluide colporteur sous la chaussée chargé de la dégivrer en hiver et d’évacuer la chaleur l’été pour lutter contre les îlots de chaleur urbains. Les routes « réservoirs » dont la porosité permettrait temporairement de stocker de l’eau afin d’éviter par exemple de saturer les réseaux d’assainissement en cas d’inondation, représentent la seconde innovation. En matière de récupération d’énergie, l’Ifsttar a testé, en 2013, le système de recharge des véhicules électriques par induction électromagnétique (sans contact) de Bombardier sur son manège de fatigue (simulateur de trafic) situé à Nantes. Celui-ci alimente déjà des autobus électriques de la ville allemande de Brunswick. Enfin, pour la nouvelle génération de route, des alternatives au bitume traditionnel sont aussi envisagées, avec un liant à base de micro-algues ou encore avec un revêtement comportant du dioxyde de titane.
Le manège de fatigue permet d’étudier le comportement en vraie grandeur des chaussées sous trafic lourd accéléré. Il présente un diamètre de 40 m et une vitesse de chargement allant jusqu’à 100 km/h. Crédit: Ifsttar
Tenir la route
« La route du futur doit répondre aux enjeux de la transition écologique, c’est-à-dire être économe en matériaux, privilégier l’utilisation de matériaux recyclés voire décarbonés », explique Nicolas Hautière, adjoint au directeur du département COSYS (the components and systems department) chargé de la R5G. « Elle doit aussi prendre en compte ceux de la transition énergétique, soit non seulement être économe en énergie mais aussi en produire. Enfin, avec l’ubérisation des routes, l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour mieux gérer le trafic et l’état des réseaux sont aussi des enjeux de la transition numérique auxquels, la route du futur doit répondre. » La route du futur, c’est justement tout l’enjeu de la consultation internationale puisque les quatre équipes pluridisciplinaires, qui seront choisies d’ici quelques mois, produiront des scénarios prospectifs d’évolutions des routes franciliennes (à moyen et long terme avec un jalonnement à 2030 et 2050). Les objectifs : améliorer le fonctionnement des réseaux, réduire les nuisances liées à la circulation ou encore mieux insérer les autoroutes urbaines dans l’environnement. Les résultats des travaux seront d’ailleurs exposés au grand public à partir de mai 2019.
1 Source livre blanc du forum métropolitain du Grand Paris: « Vers des mobilités durables, intelligentes et optimisées à l’horizon 2030 en Ile-de-France ». 2 Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux.