Pour Jean-Philippe Faure, DSI d’Eiffage, la philosophie est claire : « Notre approche de l’IA vise à transformer concrètement le quotidien des collaborateurs. Nous déployons des technologies de pointe qui répondent précisément aux besoins opérationnels tout en apportant une véritable productivité ». Cette vision a guidé la stratégie d’implémentation du groupe depuis la signature de son accord avec Google Cloud en décembre 2023.
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Pour y parvenir, la DSI s’est appuyée sur un réseau de pionniers identifiés au sein des branches du groupe, qui ont sélectionné des cas d’usage communs et prioritaires. Cette approche terrain a permis de développer des solutions qui répondent à des besoins réels tout en améliorant la productivité et le bien-être des collaborateurs.
Une réponse sécurisée
La démarche d’Eiffage répond également à un enjeu majeur de sécurité informatique, comme l’explique Jean-Philippe Faure : « Eiffage regorge de collaborateurs curieux, passionnés par l’innovation. Assez naturellement, le recours aux IA publiques s’est rapidement généralisé, souvent de manière invisible. Mais cela pose un risque majeur : lorsqu’un collaborateur saisit des données de l’entreprise sans anonymisation dans un prompt, ces informations peuvent faire l’objet de fuite ou tomber dans l’espace publique . C’est une brèche de sécurité invisible, mais bien réelle. Interdire ces IA publiques de manière frontale aurait été inefficace et contre-productif. Nous avons donc choisi de proposer une alternative interne, sécurisée et performante. Notre plateforme d’IA générative, déployée sur Google Cloud, est accessible à tous nos collaborateurs, à condition de suivre au préalable une formation au prompt. Elle garantit la confidentialité des données, centralise les bonnes pratiques et favorise un usage maîtrisé. Résultat : l’usage des IA publiques recule, preuve que notre approche répond aux besoins tout en protégeant l’entreprise ».
Google Cloud : un écosystème IA complet
Pour concrétiser sa vision, Eiffage s’est appuyé sur Vertex AI et un ensemble de modèles, allant de Gemini à Imagen, en passant par des modèles tiers tels que ceux d’Anthropic (Claude AI) et de Mistral AI. « Vertex AI facilite l’intégration de multiples modèles. Nous avons développé une plateforme no-code sur GCP appelée Workflow Builder qui permet de ’muscler’ les prompts et de les rendre plus robustes pour un passage à l’échelle efficace. Dit autrement, GCP nous apporte bien plus que des modèles : l’infrastructure Google Cloud couvre tous nos besoins pour tester et rapidement mettre en oeuvre nos idées. Cette agilité est d’autant plus essentielle que notre souhait est de rester à la pointe de ce qui se fait en IA. Or, la vitesse d’innovation chez Google Cloud est impressionnante : de nouvelles fonctionnalités apparaissent toutes les semaines. Avec les outils fournis, nous pouvons non seulement les tester mais aussi concrétiser nos projets et les passer à l’échelle », précise Jean-Philippe Faure.
Le développement des projets IA a réellement débuté en mai 2024. Moins d’un an plus tard, plusieurs cas d’usage ont déjà été industrialisés, grâce à cette méthodologie qui combine impact de l’IA, implication des branches métiers et outils qui permettent d’aller vite. Parmi les cas d’usage « emblématiques », l’analyse des dossiers de consultation d’entreprises (DCE) est passée de deux jours à 20 minutes grâce à l’IA. « C’est un collaborateur opérationnel qui a conçu les prompts, à partir de son expérience terrain, puis la DSI l’a passé à l’échelle », précise le DSI d’Eiffage.
Pour renforcer sa politique de prévention des risques sur les chantiers, Eiffage s’appuie également sur Imagen : l’IA analyse automatiquement des photos prises sur les chantiers en les comparant à plusieurs référentiels (internes et réglementaires) pour détecter rapidement les écarts de sécurité. Objectif : aider les chefs de chantier à prendre les bonnes décisions en termes de prévention.
D’autres cas ont suivi : automatisation des comptes rendus de réunions, aide à la priorisation des appels d’offres selon les chances de succès prédites, ou encore traduction multilingue automatique de présentations. Chaque idée pertinente émergeant des branches est testée et, si les résultats sont positifs, passée à l’échelle avec l’appui technique de la DSI.
De l’initiative IT au projet d’entreprise
L’approche d’Eiffage en matière d’IA générative repose sur une conviction : pour qu’elle soit utile, l’IA doit être accessible au plus grand nombre, ce qui suppose de maîtriser l’art du prompt. Dans cette perspective, le Groupe a développé un parcours d’apprentissage de 80 minutes, prérequis indispensable pour que les collaborateurs puissent accéder aux solutions IA développées par le groupe.
Cette stratégie porte ses fruits : depuis le lancement de la formation en février 2025, plus de 2 500 collaborateurs ont demandé à y participer, 2 000 l’ont terminée, et environ 1 600 utilisent activement les solutions IA. « Ce suivi précis de l’utilisation nous permet de mesurer l’impact réel des outils déployés, et donc le succès de notre démarche », précise Jean-Philippe Faure. « Ce qui était au départ une initiative de la DSI est désormais un projet porté par l’ensemble des branches. Quand les patrons de branches métiers écrivent eux-mêmes à leurs équipes pour encourager l’adoption de l’IA, je sais que notre démarche fait sens. Cette appropriation par les métiers est clairement la clef du succès ».
Aujourd’hui, la DSI agit comme facilitateur : elle s’assure de la sécurité, de la robustesse technique, de la gouvernance, et accompagne la mise à l’échelle. « L’IA est un projet des métiers, pour les métiers. C’est pour ça que ça fonctionne. Ce n’est pas une affaire de technophiles : pour créer de la valeur avec l’IA, il faut avant tout connaître le métier. L’IA générative change la donne : on n’a plus besoin de savoir coder, il faut savoir s’exprimer clairement, poser un problème de manière pertinente, et comprendre les enjeux du terrain. Ce sont les gens du métier qui détiennent cette compétence, pas ceux qui maîtrisent le langage informatique », souligne Jean-Philippe Faure.
Cap sur les agents IA
« La prochaine révolution, ce sont les agents IA », anticipe le DSI. « Nous passerons alors de l’assistant ‘qui aide’ à l’agent ‘qui travaille à vos côtés ’ ». Cette évolution s’inscrit parfaitement dans sa vision stratégique : utiliser l’IA pour libérer les collaborateurs des tâches chronophages mais à faible impact.. « L’objectif est de déléguer aux agents IA les tâches, souvent rébarbatives ou répétitives, pour que nos équipes puissent se concentrer sur ce qui crée véritablement de la valeur ajoutée ».
« Avant, il fallait savoir coder pour faire de l’informatique. Aujourd’hui, il suffit de savoir s’exprimer clairement. Et des gens qui savent parler de leur métier, il y en a beaucoup ». Cette démocratisation apportée par l’IA abolit des frontières qui semblaient auparavant infranchissables, qu’elles soient technologiques ou même linguistiques, permettant aux experts métiers de tous les pays où le groupe opère de contribuer pleinement à l’innovation.
Si la transformation numérique d’Eiffage est encore en cours, l’impact de l’IA générative est déjà visible et reconnu à tous les niveaux de l’organisation. À la question de savoir si l’IA va transformer les activités du groupe, la réponse du DSI est sans équivoque : « Est-ce que l’IA, et notamment les agents IA, vont impacter nos business ? La réponse est clairement oui, même si je suis bien incapable aujourd’hui de vous dire comment et à quel point », conclut Jean-Philippe.