L'UIE a dévoilé le résultat d'une vaste enquête sur les réseaux d'eaux
L’étude économique mandatée par l’Union des Industries de l’Eau (UIE) chiffre à 4,6 milliards d’euros les besoins annuels supplémentaires pour moderniser et décarboner les infrastructures de l’eau, l’assainissement et du pluvial.
Les résultats de l’étude patrimoniale conduite par Maria Salvetti, économiste indépendante, pousse l’UIE à appeller de ses vœux une trajectoire nouvelle intégrée à la planification écologique lancée par l’État et la formation d’une nouvelle génération de professionnels à même de réindustrialiser la filière. Cette étude se base sur des données et rapports publics, principalement l’Étude sur la récupération des coûts des services d’eau et d’assainissement publiée en 2019 par l’Office Français de la Biodiversité (OFB).
Révision de patrimoine
Cette étude, deuxième édition après un premier rapport paru en 2017, dresse un état des lieux relatif à la gestion du patrimoine eau potable, assainissement collectif et eaux pluviales en France, et permet d’actualiser la valorisation du patrimoine global (500 milliards d’euros) et préciser les besoins d’investissement des services. Nouveauté pour l’édition 2022 : les coûts environnementaux, calculant les dommages sur les milieux aquatiques (hors infrastructures industrielles et agricoles), ont été évalués.
Le déficit s’aggrave !
L’étude montre une aggravation de la tendance au sous-investissement relevée cinq ans auparavant. Le déficit annuel d’investissement pour les infrastructures de l’eau, l’assainissement et du pluvial s’établit ainsi à 4,6 milliards d’euros. Les services d’eau potable et d’assainissement représentent la plus large part avec respectivement 1,8 et 1,4 milliard. A noter, ce dernier secteur affiche la plus grande baisse d’investissement par rapport à la précédente étude qui affichait un excédent de 0,6 milliard pour l’assainissement collectif (entre 2009 et 2014). Le renouvellement des réseaux d’eau constitue toujours la majorité des investissements nécessaires (environ 3 milliards).
Un manque d’argent pour toutes les eaux
Du côté de la gestion des eaux pluviales, l’étude évalue à un milliard les besoins mais l’UIE estime nécessaire l’amélioration de la connaissance de ce patrimoine dont la gouvernance peine à se stabiliser, alors que le risque inondation s’accroît avec le changement climatique et l’augmentation des pluies diluviennes. Enfin, le traitement des micropolluants (polluants organiques, pesticides, microplastiques, résidus médicamenteux…), poste rattaché aux stations d’épuration (STEP), est évalué à 390 millions d’euros et forme la plus petite portion de ce déficit.
L’avis de l’UIE
"Ces indicateurs économiques démontrent le vieillissement inéluctable de nos infrastructures. Le rythme actuel ne permettra pas à notre patrimoine de tenir sur le long terme, en particulier concernant le renouvellement des canalisations. En 2050, deux tiers des infrastructures auront plus de 70 ans : nous ferons face à un papy-boom des installations ! C’est pourquoi il nous faut changer de trajectoire : nous avons les connaissances, les capacités d’innover et encore le temps d’adapter nos capacités de production. Il ne manque que de nouveaux objectifs et la détermination politique pour les atteindre", déclare Jean-Luc Ventura, président de l’UIE
Une étude pas facile à faire !
Autre point clé de l’étude : l’autrice a constatéune forte discontinuité des méthodes de traitement et de présentation des données. "Il existe un vrai problème dans la collecte des données qui empêche de disposer d’une série chronologique longue, homogène et récente", souligne l’économiste Maria Salvetti (photo ci-dessous). On observe en effet des agrégats de données, notamment dans le Rapport de l’Observatoire des Finances et de la Gestion Publique Locales, ou bien le Bilan Environnemental de la France qui n’inclut plus la dimension eau potable. "L’appauvrissement des données obère la capacité à interpréter de façon juste les résultats des politiques de l’eau", poursuit-elle. Par ailleurs, il existe très peu de données nationales pour évaluer le nombre de services ne respectant pas le rendement seuil (décret n°2012-97) et soumis au doublement de leur redevance prélèvement. Aussi, aucune donnée nationale relative au patrimoine des eaux pluviales (collecte, transport et stockage) ne peut être trouvée.
Comment agir dans ces conditions ?
Cette faiblesse de la donnée publique, corrélée au déficit chronique, ne permet pas d’engager le patrimoine de l’eau vers la voie de la modernisation. Or, les nombreux défis que le secteur devra relever pour assurer la durabilité et la qualité des services d’eau et d’assainissement, au premier rang desquels la décarbonation de l’industrie de l’eau face au changement climatique, supposent d’agir sans attendre. Sans cela, s’ajoutera un défi d’ordre économique qui se traduirait par un mur d’investissement infranchissable et par conséquent, un point de non-retour économique et industriel.
Pour quelques milliards de plus
Au-delà des investissements « gris » (les infrastructures), l’étude de l’UIE met également en relief les investissements « verts » qu’il faudrait réaliser pour parvenir à la bonne qualité des masses d’eau. Ces « coûts environnementaux » quantifient ainsi les dommages environnementaux sur les milieux aquatiques n’ayant pas encore entraîné une dépense effective. Ces derniers sont estimés à 3,7 milliards d’euros par an, jusqu’à 2027. Cet écart à l’objectif européen du bon état des masses d’eau est à considérer comme un ordre de grandeur relatif à l’ampleur des externalités négatives des usages domestiques de l’eau (utilisation de produits phytosanitaires ou pharmaceutiques par exemple). Ces coûts ont été évalués sur la base de la moyenne annuelle des coûts des deux Programmes de Mesures 2016-2021 et 2022-2027 des agences de l’eau.
Mais où trouver ces milliards ?
Les besoins supplémentaires (4,6 milliards) s’ajoutant à la base d’investissement actuelle, établie à 6 milliards d’euros environ, feraient évoluer le budget annuel à plus de 10 milliards. Ce changement majeur de trajectoire est néanmoins possible si le chantier de la planification écologique lancé fin septembre par le Ministère de la Transition écologique s’empare pleinement de l’enjeu. Comme l’a rappelé l’UIE lors de la publication de son rapport, mardi 4 octobre, plusieurs pistes de financement sont déjà sur la table. Première d’entre elles, la meilleure utilisation des Aqua Prêts de la Banque des Territoires permettrait de soutenir le financement des investissements dans les infrastructures de l’eau à des conditions très favorables. D’autre part, les collectivités disposent d’un excédent de trésorerie d’environ 5 milliards d’euros (Insee) des services d’eau et d’assainissement pour initier des projets porteurs.
Que les Agences reviennent vers le petit cycle de l’eau
Par ailleurs, l’étude pointe la baisse des budgets alloués pour l’investissement dans l’eau potable ou l’assainissement de la part des agences de l’eau, au profit du grand cycle de l’eau. Résultat : le petit cycle dispose des aides les plus faibles depuis 15 ans (1 milliard environ en 2020 contre 1,8 milliard en 2012). Enfin, l’UIE rappelle que l’application du principe pollueur-payeur et l’activation des dispositifs de Responsabilité élargie des producteurs (REP) permettraient de financer le traitement des micropolluants tels les résidus médicamenteux ou les microplastiques.
Qui des emplois ?
La question des compétences et du capital humain est également au cœur de la réinvention d’un patrimoine de l’eau décarboné et résilient. L’étude patrimoniale de l’UIE consacre dès lors une part importante aux métiers nouveaux qui gagneront le secteur de l’eau, comptabilisant aujourd’hui plus de 130 000 emplois directs et indirects. A court terme, le rapport fait ressortir le besoin de 13 000 équivalents-temps-plein (ETP) à l’horizon 2025 (Filière Française de l’Eau), dont plus de la moitié pour remplacer des départs en retraite.
"La réindustrialisation de la filière eau va se faire sur le temps long, pour permettre le redéploiement en France des outils de production nécessaires. De plus, la question du capital humain et l’anticipation des compétences nouvelles seront évidemment essentielles", considère Jean-Luc Ventura. "Des besoins vont émerger, des métiers apparaîtront. La formation et le recrutement d’une nouvelle génération de professionnels de l’eau sera un enjeu majeur pour renouveler un patrimoine armé pour le XXIe siècle", conclut-il.