Alors que les TP affichent des taux de valorisation record en matière de déblais sous l’impulsion de la Société du Grand Paris, les entreprises de construction et de déconstruction doivent faire avec une règlementation approximative et des maîtres d’ouvrage principalement soucieux de réduire leurs coûts, peu enclins à utiliser des matières recyclées et à prendre le risque d’endosser la responsabilité en cas de sinistre. Des questions cruciales dont souhaiteraient faire leur prérogative les grands groupes de recyclage. C’est sans compter l’arrivée dans le paysage d’un nouveau syndicat issu de la fusion du Sned et du SR BTP… Un modèle à suivre
La perspective (effrayante) des énormes quantités de déblais issus de la construction du Grand Paris a eu le mérite de mettre tout le monde autour d’une table pour établir une stratégie autour de la gestion de ces terres mais aussi des déchets issus des chantiers de construction. En ce sens, la Société du Grand Paris a endossé un rôle moteur : celui de vecteur des bonnes pratiques. « Grâce à la SGP, les pratiques ont évolué vers une véritable gestion des déchets inertes », confirme Erwan Le Meur, DG adjoint de Paprec et président de Federec BTP. « Cet engagement a entraîné les maîtres d’ouvrages à assurer une traçabilité et à orienter les déchets vers des exutoires autorisés ou en comblement de carrières ». Si les acteurs concernés n’ont pas encore trouvé une stabilité du statut du déchet inerte en raison de l’importance des volumes générés, l’Etat s’emploie à faciliter les démarches. Une bonne nouvelle alors que s’amorce la réhabilitation des quartiers des futures gares du Grand Paris Express qui sera à l’origine d’importantes opérations de restructuration.
Première sur les matériaux recyclés
Naturellement déficitaire en matériaux naturels du fait de la pauvreté de ses ressources minérales, l’Ile-de-France fait pourtant figure de bon élève parmi les régions françaises. « Parce que le foncier est cher et limité en place, elle se construit beaucoup sur elle-même », glisse Erwan Le Meur. Un fait établi qui pousse les entreprises de BTP et de recyclage à recycler de grosses quantités de béton. « Si aujourd’hui il n’est pas toujours facile de produire du béton recyclé de qualité, on recycle toutefois 25 millions de tonnes de béton par an, avec l’objectif de parvenir à 35 millions de tonnes », estime le président de Federec BTP. Actuellement 800 000 t de matières recyclées sont réutilisées dans la construction. La profession espère arriver à 3 voire 5 millions de tonnes.
Le bâtiment traîne la patte
« Globalement, on se rapproche de l’objectif de 70% de recyclage et de valorisation des déchets issus du BTP imposé par la loi de transition énergétique. Sans aucun doute, le secteur des travaux publics gagne le duel haut la main. Mais il est plus facile de travailler sur 95% de déchets inertes. Le bâtiment lui, est loin derrière. Car il doit assumer 30% de déchets non inertes exigeant davantage de tri et de traitement », explique Erwan Le Meur. Une croix que doivent porter les démolisseurs, constructeurs et promoteurs toujours confrontés à des prix de chantiers très bas. Sans parler des diagnostics systématiques qui sont mal exécutés en raison de budgets serrés.
Des maîtres d’ouvrage à sensibiliser
Si l’on voit depuis peu une recrudescence des outils numériques d’aide à la valorisation des déchets sur chantier – chaque entreprise de recyclage y va de sa plateforme numérique ou de son application mobile – il semble que la profession ait tendance à mettre « la charrue avant les bœufs ». La clé étant de « convaincre les maîtres d’ouvrage » à promouvoir la réutilisation des matières recyclées. « Il y’a d’abord une vraie question juridique à régler : qui prend la responsabilité du dégât en cas de sinistre suite à l’utilisation d’un matériau recyclé ? », estime Erwan Le Meur. Un sujet assurantiel d’importance qui mobilise à la fois les assureurs, les juristes et les pouvoirs publics… sans résultat pour l’instant. Toutefois, l’Etat reste le meilleur élève. Le ministère de la Culture a ainsi permis plusieurs expérimentations en termes de réemploi sur des chantiers publics de bâtiments classés. En parallèle, des initiatives naissent, à l’image de Paprec qui travaille étroitement avec Circolab sur le sujet.
Pas les mêmes intérêts
En marge de toute cette ébullition, la création d’un nouveau syndicat, issu de la fusion du Sned avec le SR BTP, va bouleverser la donne. « Nous sommes à l’origine de 20 millions de tonnes de déchets du BTP et le pourcentage le plus difficile à traiter est sur les chantiers des démolisseurs », affirme Nathanaël Cornet-Philippe, ancien président du Sned. « La problématique déchet est donc forcément celle des démolisseurs. Cette union avec les recycleurs du BTP – baptisée SEDDRe - va nous permettre de mutualiser nos moyens et nos compétences dans cette optique », ajoute-t-il. Un mariage qui en laisse plus d’un sceptique. « Je suis surpris que des producteurs de déchets s’associent avec des recycleurs : ils n’ont pas les mêmes intérêts. Il est difficile de promouvoir les valeurs du recyclage quand on est à l’origine même du déchet », objecte Erwan Le Meur. Pour le président de Federec BTP, les grands groupes de recyclage comme Paprec ou Suez, à l’expertise plus en pointe, sont davantage à même de prendre en charge la problématique car plus proches des travaux de l’Etat. Il faudra pourtant faire avec un SEDDRe combatif bien décidé à faire valoir sa légitimité. « Nous ne souhaitons pas que les grands recycleurs sachent mieux traiter le déchet de démolition que nous autres démolisseurs. Le risque étant que notre métier soit cantonné à la simple sous-traitance de ces grands groupes lors des appels d’offres », conclut Nathanaël Cornet-Philippe.