L’idée de créer une route solaire est née pour les équipes de Colas avant 2010. Après cinq ans de recherche et développement, menés en partenariat avec l’INES (institut national de l’énergie solaire), une première version de Wattway est apparue en 2016. Installée tout d’abord sur plusieurs sites expérimentaux en France, puis, en janvier 2017 à Atlanta aux Etats-Unis, la solution développée par Colas a pu être testée en conditions réelles avant que plusieurs améliorations lui soient apportées. « Plusieurs changements ont été effectués sur la solution depuis sa conception, explique Etienne Gaudin, directeur développement et mobilité au sein du groupe Colas. Afin d’améliorer la durée de vie de Wattway, la dalle a dû évoluer, un travail a notamment été réalisé au niveau de l’encapsulation des cellules photovoltaïques. Des modifications ont aussi permis de rendre la dalle plus plate et de réduire le bruit qu’elle générait au passage d’un véhicule. »
© COLAS – Joachim Bertrand
Dans l’optique de baisser les coûts en réduisant le nombre d’équipements, Colas a aussi repensé l’architecture électrique et les conditions de pose. « La durée de vie de la robustesse de l’installation dépend aussi de la pose, précise-t-il. Par exemple, dans le passé nous avons été confrontés sur certains sites à un affaissement de la dalle, en partie, parce que la technique n’était pas adéquate. Nous avons aussi changé notre version de joint pour qu’il prenne en compte la dilatation due au climat. » Un peu plus de vingt améliorations ont, au total, été réalisées sur la technologie Wattway depuis sa création.
Un objectif déjà fixé dans le négatif
Lors du lancement du tronçon d’un kilomètre dans l’Orne, Colas avait annoncé, dans un communiqué, une production moyenne d’électricité de 767 kWh par jour. Or, les nouveaux résultats révèlent plutôt 671 kWh par jour. S’agit-il d’une difficulté à atteindre les objectifs ? Absolument pas, certifie Etienne Gaudin. « Avec les différentes expérimentations menées, nous avons découvert que le substrat multicouches dans lequel sont enrobées les dalles réduit le passage de la lumière, ce qui impacte d’environ 10% la performance de la solution. D’autre part, à certains endroits, les véhicules et bâtiments génèrent de l’ombre, ce qui agit encore de 10% sur l’efficacité. » En d’autres termes, après avoir testé sa solution, Colas s’est fixé un objectif moyen n’excédant pas entre -20% et -30% de performance par rapport à d’autres dispositifs photovoltaïques, comme les fermes solaires.
A Boulogne-Billancourt. © Saragoussi
Pour certains acteurs du solaire, cette réduction de la performance est, par nature, inévitable puisque si l’entreprise choisissait des cellules photovoltaïques plus puissantes, une surchauffe serait alors causée. La chaleur ne s’évacuant pas facilement par la route.
L’ombre, causée notamment par des véhicules stationnés le long de la route, aura eu raison des dalles photovoltaïques installées rue du Vieux Pont de Sèvres, à Boulogne-Billancourt (92), ce que reconnait tout à fait l’entreprise : « La marge d’impact est plus large que ce que nous avions anticipé », commente Etienne Gaudin.
Une solution adaptée aux petites surfaces
Cette phase expérimentale de près de deux ans aura, d’autre part, permis de définir les sites les plus pertinents pour accueillir la solution. «Les zones péri-urbaines ou rurales, présentant un trafic moins important, sont techniquement plus intéressantes », précise le directeur développement & mobilité. « Non seulement, il est plus facile de l’installer en zone de voirie mais, en plus, ces terrains contribuent à positionner Wattway en zones blanches énergétiques, servant alors à l’alimentation électrique d’équipements non connectés au réseau (ndlr. Panneaux d’informations, bornes de recharges électriques, candélabres ou autres équipements d’éclairage public). »
De manière générale, la solution apparait ainsi plus efficace pour les petites surfaces entre 100 et 200 m² ainsi que les zones où la vitesse maximale autorisée n’excède pas 50 km/h comme les parkings. De plus, elle présente un faible impact paysager et contribue fortement à réduire le risque de vol qui se pose avec le photovoltaïque.
A Sagamihara (Japon) © Bouygues Asia
En décembre 2017, au Japon, le groupe 7-Eleven a fait, par exemple, installer la technologie sur une surface de 100 m² de son magasin de Chiyoda. Elle devrait générer, selon Colas, autour de 10 000 kWh d’électricité par an, soit l’équivalent de 7,2% de l’énergie moyenne consommée du magasin en 2013.
Si elles sont effectivement viables pour des surfaces moins étendues, les routes solaires restent toutefois moins efficaces que d’autres dispositifs existants. Moins esthétiques, les ombrières photovoltaïques de parkings sont, par exemple, préférées à certains endroits de la France comme dans l’Hérault, au sein de l’aéroport de Montpellier, où 16 070 modules de panneaux ont été installés, au-dessus de 1800 places de stationnement, pour fournir 6200 MWh par an (soit environ la consommation annuelle de 5000 personnes).
Un coût élevé
Avec des panneaux orientés vers le ciel, les ombrières apparaissent bien plus efficaces. Cependant, comme le rapporte le média Slate leurs structures porteuses ont un coût, estimé entre 50 à 80 centimes d’euro par watt contre 7,5 centimes d’euros pour les structures standards des grandes centrales photovoltaïques au sol, d’après un rapport de l’institut Fraunhofer en Allemagne. Des dépenses d’investissement (ou Capex) élevées qui apparaissent toutefois moindres par rapport aux solutions de routes solaires proposées en Europe.
En ce qui concerne, notre technologie française, elle coûte actuellement 14,5 € du Watt crête (Wc) hors raccordement mais Colas a l’ambition d’atteindre entre 3 à 5€ du Wc. Cependant, pour certains, le prix ne devrait pas être un frein quant à l’intérêt de développer ce type d’innovation. « Je ne pense pas que quand Edinson a sorti sa lampe, il ait visé un prix inférieur à la bougie. commente Pierre Calvin, président de Routes de France. Je crois qu’une innovation, quand elle est de rupture, il faut la laisser mûrir, la laisser s’affiner et puis, derrière elle aura son marché ou elle ne l’aura pas. Je ne trouve pas judicieux de casser ces initiatives parce qu’encore une fois l’aspect financier n’est pas le seul et il peut évoluer de manière importante. Aujourd’hui, si j’ai bien compris, Colas est en train de travailler énormément au Japon, au Canada, aux Etats-Unis, dans plusieurs pays développés, c’est donc que l’intérêt est là et que le prix n’est que transitoire. Il est clair que ce n’est pas en se comparant à EDF en matière de fourniture d’énergie que la route solaire peut gagner. Par contre, je peux vous assurer que si c’est pour alimenter, sur une aire de service d’une route nationale, une borne de recharge et que vous n’avez pas dix kilomètres de câbles à tirer vous allez sans problème trouver une rentabilité au dispositif. Il y a un domaine d’emploi qui répond à l’intérêt de cette solution. »
Le solaire, une utopie pour la route ?
Pour d’autres, le concept de route solaire est une aberration. Par exemple, l’ingénieur australien David L. Jones, également fondateur du site EEVblog, qualifie, dans une vidéo, cette solution et d’autres similaires développées aux Etats-Unis (Solar Roadways) ou au Pays-Bas (Solar Road), de « pie in the sky folly » (ndlr. folie illusoire). Il souligne notamment qu’en plus d’avoir un coût plus élevé que des panneaux solaires au sol, les routes solaires sont nettement moins productives.
D’un point de vue environnemental, elles sont également questionnées. Le manque d’éléments communiqués interroge notamment sur la quantité d’énergie requise pour produire ce type de technologie. Un spécialiste de l’énergie nous a raconté que « nous consommons très probablement davantage d’énergie pour produire ces routes solaires qu’elles n’en délivrent, en réalité, durant leur vie. » Cette solution serait-elle donc contraire au développement durable ? Dans la même approche, le bilan écologique global n’a pas été dévoilé concernant les composants de la solution (résine, colle, etc.). Combien de quantité d’énergie est nécessaire à leur production ? Sont-ils polluants ?
« Je peux voir deux problèmes avec les routes solaires. Le premier vient du réchauffement des panneaux, car quand la température augmente, l’efficacité décroit et le processus de vieillissement est accéléré, explique dans un documentaire de National Geographic, Hervé Pabiou, chercheur au CETHIL, centre d’énergétique et de thermique de l’INSA Lyon. « Un autre paramètre intéressant est le temps de retour énergétique (energy payback time) qui est le temps requis pour produire la même quantité d’énergie ayant été utilisée pour fabriquer les panneaux. C’est un réel défi pour les ingénieurs ».
De son côté, Pierre Trotobas, responsable du développement international de Wattway a par ailleurs confié au média luxembourgeois Le Quotidien qu’ « avant de parler de routes ou d’autoroutes entières, nous avons encore quelques étapes à franchir. Nous ne sommes pas encore au point pour produire massivement de l’énergie.» Pour l’heure, si un marché de niche existe pour cette solution, elle ne sera donc pas développée à grande échelle, ce qui rend la réduction de son coût difficile.
* D’après Colas, à Tourouvre-au-Perche, les 2880 m² de dalles Wattway produisent 85 kWh/m² par an. Cependant, ce résultat ne prend en compte que les dalles ayant fonctionné en continu et omet celles qui ont présenté un dysfonctionnement.