Pour remplacer les hydrocarbures et atteindre la neutralité carbone en 2050, l’UE devra disposer à cette date de quantités faramineuses de métaux indispensables pour fabriquer les équipements de demain (voitures électriques, rotors d’éoliennes, unités de stockage...).
L’Europe dont l’activité minière en matériaux stratégiques a été extrêmement réduite, n’intègre pas assez vite la transformation du monde et ses règles du jeu. Si elle ne réagit pas rapidement, elle risque une absence de souveraineté sur les nouvelles matières premières stratégiques (métaux comme le cobalt, nickel, néodyme, rhénium, lithium etc.) au point de faire face à des pénuries, d’être dépendante des puissances étrangères ou de n’avoir d’autre choix que d’importer des produits finis.
D’un monde intensif en hydrocarbures à un monde intensif en métaux.
Le monde doit d’ici 30 ans relever un défi énorme, celui de la transition énergétique. « Nous passons d’un monde intensif en hydrocarbures à un monde intensif en métaux. Rien que d’ici 2050, il faudra extraire autant de métaux que nous l’avons fait depuis l’aube de l’Humanité, avec une infrastructure à sans cesse entretenir et renouveler au prix de pertes permanentes de matière. En outre, aucun modèle n’est soutenable jusqu’à la fin du siècle sans un taux de recyclage encore jamais atteint » explique François Rousseau, directeur général de l’École des mines Nancy.
Car par exemple le cuivre sera indispensable demain pour électrifier notre économie. Le lithium est assez symbolique, il nous en faut beaucoup, sous une certaine forme chimique, pour les batteries. Nous allons vers une transition énergétique basée sur l’électrification. Et plus on va vouloir mettre de l’énergie de source intermittente dans notre mix énergétique, plus il va falloir stocker. « On parle beaucoup des batteries parce qu’elles sont indispensables : on peut faire de l’électricité avec des éoliennes, des panneaux solaires, de la géothermie ou autre, on aura certainement des batteries. Les matériaux le plus souvent utilisés sont le lithium, le cobalt, le nickel ; cela dit on ne sait pas quelle sera la technologie dans cinquante ans ; actuellement les chercheurs s’intéressent au sodium notamment pour des questions d’abondance et de densité énergétique ».
Risque d’indisponibilité des sous-produits
Vincent Donnen a fondé la Compagnie des métaux rares (CDMR) en 2013 pour créer le premier fonds d’investissement se focalisant à 100 % sur le marché des métaux stratégiques. Il souligne de son côté : « Les métaux rares sont en grande majorité obtenus presque exclusivement en tant que sous-produits de métaux de base ou de métaux précieux. Le molybdène est ainsi obtenu à près de 2/3 en tant que sous-produit du cuivre, de même que le sélénium, le tellure ou le rhénium. L’indium provient exclusivement des mines de zinc, le gallium de la bauxite, le ruthénium et l’iridium des mines de platine. Une part très importante, et pour certains la totalité, des métaux consommés en Europe est importée soit sous forme de matière première soit sous forme de produit fini ». La dépendance aux importations s’accroît. « Ce sont des métaux stratégiques pour leur application et qui en même temps ont des risques d’indisponibilité».
L’Europe mise sur le recyclage
Pour autant, les chercheurs laissent entrevoir qu’une partie de ces immenses besoins pourraient être couverts, d’ici à 2050, par le recyclage. En effet, les métaux sont réutilisables contrairement aux combustibles fossiles. Mais cette stratégie de recyclage ne serait possible qu’à condition que l’Europe investisse rapidement dans les infrastructures, et relève ses taux de recyclage obligatoire.
Dans un avenir très proche, certains métaux et terres rares seront des éléments essentiels à la production des systèmes de production d’énergie et de propulsion électriques. Le cuivre, le cobalt, le nickel, le lithium, l’aluminium sont des métaux incontournables qui, associés à certaines terres rares, permettent de produire les batteries et les moteurs électriques.
« Le recyclage est une industrie très capitalistique et spécialisée (et donc exposée aux changements de technologies). Pour recycler, nous aurons besoin de flux importants, d’une connaissance et d’une qualification des gisements, et d’un réseau amont (collecte, tri, stockage et traitement) efficace. Il faut le penser dès le départ (design) et bénéficier d’une règlementation favorable. En outre, le recyclage ne suffira pas à couvrir
nos besoins. Il y a une perte de matériaux qui est inévitable. A mon sens le recyclage est un maillon indispensable mais qui n’est pas suffisant. Le chantier de la transition énergétique est immense. Je pense qu’on est en train de vivre un glissement géopolitique, dans un monde beaucoup moins prévisible, où les chaînes de valeur se fragmentent, je crois qu’il faudrait redonner de l’importance à la résilience »estime François Rousseau. Pour Vincent Donnen, la solution du recyclage est « bonne mais il faudra du temps pour mettre en place les filières. Les chaînes de recyclage devront s’adapter en permanence à de nouveaux produits et l’on n’est pas sûr d’avoir un retour sur investissement. Il est possible d’isoler et recycler des métaux très rares… pour autant que leur prix le justifie. C’est économiquement possible pour l’or ou les platinoïdes mais ça ne l’est pas pour le tellure, l’indium, le tantale, le bismuth, le sélénium… Même le rhénium, métal parmi les plus rares sur terre et qui est essentiel aux superalliages des parties chaudes des turbines d’avions, n’est désormais plus recyclé en raison de son prix actuel trop bas. Le problème des métaux critiques est qu’ils sont utilisés en faibles quantités dans de multiples objets ce qui rend leur recyclage impossible car trop cher, trop énergivore voire trop polluant au vu de leurs prix de marché et de la production primaire. »
Aussi par exemple, si on ne recycle que le cuivre et qu’on en obtient suffisamment, on va donc limiter les besoins en cuivre qui proviennent des mines (cuivre primaire) mais on limite ainsi la production minière et donc les sous produits qui en découlent, sachant que ceux-ci ne sont pas recyclés. En ne recyclant que certains métaux on court ainsi le risque de créer des pénuries sur les métaux les plus rares.
...et la relance du secteur minier
L’Europe doit structurer une filière à l’échelle du continent pour valoriser son stock existant par le recyclage mais aussi relancer l’activité minière, avec un redéploiement industriel.
Le groupe français de minéraux industriels Imerys a annoncé la mise en exploitation minière d’ici 2027 d’un gisement de lithium dans l’Allier.
Ce site devrait permettre d’alimenter l’équivalent de 700.000 véhicules électriques par an. Le projet d’Imerys, soutenu par le gouvernement, prévoit 1 milliard d’euros d’investissements publics pour développer l’industrie tricolore en métaux dits "critiques" (lithium, nickel, cobalt, tantale, nickel cuivre, etc.) Si le gouvernement a décidé de se doter d’une stratégie en la matière, c’est que ces métaux utilisés dans la production de batteries de véhicules électriques, d’ordinateurs ou autres produits technologiques sont très convoités de nos jours. Le projet doit permettre la production annuelle de 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium à partir de 2028.
« En France métropolitaine, le potentiel en métaux du sous-sol est très mal connu » souligne Vincent Donnen. Les analyses géologiques et les forages n’ont pas été poursuivis après la fin des activités minières pour le fer et le charbon. « Il serait ainsi nécessaire de reprendre une politique de cartographie systématique du sous-sol pour pouvoir identifier les différents gisements métallifères. Quand bien même la volonté politique et l’acceptation sociale seraient obtenues, il faudra donc des années voire des décennies avant de pouvoir labelliser « made in France » des métaux critiques dont nous avons besoin. Toutefois des analyses du sous sol reprennent comme dans le massif central. C’est un bon début, avec la mine de lithium qui a été annoncée et qui va être ouverte en France. Dans notre pays nous avons aussi un énorme gisement de tungstène qui est un métal ultra stratégique ».
Accords d’approvisionnement en métaux critiques
La France et l’UE ont annoncé leur volonté de renforcer leur politique de signature d’accords d’approvisionnement en métaux critiques avec d’autres pays. L’Afrique dispose d’immenses ressources et a d’importants besoins d’investissements. Plusieurs problèmes existent néanmoins :
l’omniprésence des sociétés chinoises dans les pays miniers, et le nationalisme des ressources. « De plus en plus les pays qui possèdent les ressources veulent remonter la chaîne de valeur ; la Chine l’a largement fait. Par exemple, au lieu de nous vendre du lithium, elle nous vend des batteries, et bientôt des voitures. La République Démocratique du Congo, qui est un des pays les plus riches en termes de sous sols, a aussi cette volonté de cesser d’être un simple fournisseur de matières premières pour raffiner les produits localement. L’Europe se trouve dans une situation de dépendance critique pour avoir totalement délaissé le secteur minier» ajoute François Rousseau.
Pour un stock stratégique
Les trois axes avancés par la France pour sécuriser l’approvisionnement en métaux critiques (renouveau minier, recyclage et accords avec des pays producteurs, le tout soutenu par un fonds d’investissement) marquent un réveil qui, bien qu’il soit tardif, revêt une grande importance à condition qu’un véritable processus et une culture stratégique des minerais et métaux se mettent en place. » « Ces propositions ne permettent pas d’assurer une résilience à court terme en cas de rupture des chaînes d’approvisionnement. La réflexion autour de la recréation d’un stock, stratégique de métaux rares est une condition de la résilience et souveraineté des industries françaises » poursuit Vincent Donnen.
Cette solution de stock stratégique pourrait mobiliser les investisseurs financiers en soutien aux industriels et à la base industrielle et technologique de défense, et pourrait être complémentaire au dispositif de fonds d’investissement envisagé par le rapport Varin. Un tel stock stratégique jouerait même un rôle dans l’émergence, la structuration et la pérennisation d’une chaîne d’approvisionnement locale
de métaux recyclés, compétitive et efficiente, en permettant une sécurisation de ses débouchés pour les recycleurs (les protégeant ainsi des effets saisonniers et conjoncturels) et une centralisation des achats.