Entre 2012 et 2016, le réseau routier de France s’est étendu de 3,8 % dont, près de 616 km supplémentaires pour les autoroutes non concédées. Pourtant, sur la même période, les dépenses des administrations publiques pour les routes ont, quant à elles, baissé de -19,6%. Un paradoxe qui questionne l’état actuel du réseau et sa durabilité.
« Le tonnage d’enrobé est un indicateur révélateur de l’investissement que l’on met dans l’entretien de notre réseau », précise Pierre Calvin, président de Routes de France. Et, celui-ci ne se porte pas au mieux puisqu’entre 2007 et 2017, il accuse une chute de -20%, passant de 42,3 millions de tonnes à 33,7 millions. Il faut dire que le secteur a connu un sérieux problème d’approvisionnement fin juin, le nombre de raffineries étant descendu à 8 (au lieu de 12 jusqu’alors). « Le marché du bitume se mondialise. Des bitumes fabriqués en France ou en Europe sont partis à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, ce qui a aussi participé à assécher le marché français », ajoute Pierre Calvin. Une inflation prévisionnelle liée au bitume est d’ailleurs estimée à 5% cette année. Un travail est actuellement mené avec le ministère pour essayer d’élargir les plages d’intervention et minimiser les crêtes, donc, diminuer le risque de rupture. « On pourrait se dire aujourd’hui que nous sommes en mesure, sur le plan technologique, de diminuer l’épaisseur de l’enrobé de 10 à 5 cm pour utiliser ainsi moins de bitume. Or, ce n’est pas vrai et en réalité nous avons même tendance à remonter plutôt en épaisseur puisque le trafic lourd augmente», raconte Pierre Calvin.
Des kilomètres en plus, ça use, ça use
En parallèle, selon les chiffres de Routes de France, le réseau national a augmenté sa surface de 3,8% sur les 5 dernières années.
Source: Routes de France
Pourtant, en matière de dépenses publiques pour son entretien, le niveau a chuté de -19,6% depuis 2012. Elles s’élèvent pour 2017 à 13,9 milliards d’euros (dépenses de l’Etat et des collectivités) 1. En parallèle, les usagers ont été mis à contribution d’au total 40,72 milliards d’euros en 2017 (différentes taxes dont : la taxe à l’essieu, la TICPE2 hors TVA et la TGAP). Pour la période 2012-2017, cela représente +18,6% de recettes supplémentaires. « Voir qu’il y a d’un côté, une baisse des dépenses et de l’autre une augmentation des surfaces à entretenir, est là encore un indicateur intéressant qui va obligatoirement, à un moment donné, poser problème. Pour information, en ce qui concerne le cumul des écarts entre les contributions et les dépenses, on en est à 250 milliards depuis dix ans, raconte Pierre Calvin, en commentant les chiffres établis par Routes de France. Sur le plan financier, la hausse de la TICPE, incluant la taxe carbone, est une autre contribution. Cette année, elle générera 2,8 milliards de recettes additionnelles et, 34,4 milliards d’euros entre 2018 et 2022.
Le prix de décisions politiques
Par ailleurs, une partie de la somme du budget, prévu par la loi d’orientation sur les mobilités (LOM) d’ici la fin du quinquennat, sera consacré à l’acquisition de matériels roulants (1,7 milliard sur les 13,4 milliards). Ainsi, bien que l’évolution annoncée par la ministre des Transports, Elisabeth Borne, soit de 40% par rapport au budget du précédent gouvernement, elle doit prendre en compte les décisions prises lors du quinquennat de François Hollande, à savoir le renouvellement de la totalité du matériel TET (Trains d’Equilibre du Territoire).
Le deuxième point qui interpelle Routes de France concernant le budget dévoilé porte sur les CPER (contrats de plan Etat-région). Sur des projets régionaux, le gouvernement s’est engagé à cofinancer les opérations à hauteur de +25% par rapport au quinquennat précédent. Cependant, selon prévisions de Routes de France, le taux de réalisation moyen des crédits de paiement pour la route, au niveau national à fin 2017, représente 12,1% alors que le taux d’engagement (AE) est de 27%. « Aujourd’hui, nous sommes actuellement à mi-parcours et ces chiffres ne laissent pas présager que nous arriverons en réalité à ce seuil, commente Pierre Calvin. Entre le moment où on a bloqué le financement lié à ces engagements et celui où l’on réalise les travaux, il se déroule en général entre 5 et 10 ans. » Un délai nécessaire à la réalisation de toutes les études notamment.
Autre paramètre, comme le souligne le président de Routes de France : « il reste 500 millions d’euros à trouver par an, soit 2,5 milliards d’euros sur cinq ans. » Retirée au 13,4 milliards d’euros, au 1,4 milliard de matériels TET et à l’incertitude sur les CPER, cette somme (2,5 milliards d’€) n’apparait pas, pour les entreprises routières, à la hauteur de la dégradation du réseau. Sans compter que le réchauffement climatique a un impact négatif sur ce dernier. Christian Tridon, président du STRESS ajoute : « Si nous ne mettons pas l’argent nécessaire, nous allons à terme déprécier la qualité de nos infrastructures ». La récente annonce de suppression de la réduction de la TICPE sur le GNR (gazole non routier) n’est pas plus encourageante. Son impact est évalué à 700 millions d’euros pour le secteur des TP et à 200 millions d’euros pour les travaux routiers.
1. Ce chiffre intègre les travaux de terrassement, de génie civil confiés aux entreprises de TP, les travaux réalisés en régie et le coût de la fonction publique (salaire et dépenses d’exploitation). 2. TICPE : Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques
Pierre Calvin, président de Routes de France. Crédit photo : BTP Magazine