Arnaud Villéger, directeur de l’Observatoire du Véhicule Industriel. Crédit : T&C
Après une année de retour à la normale, dans un contexte de baisse des carnets de commande, le véhicule industriel (VI) attaque une année 2024 mitigée. Les immatriculations devraient ralentir tandis que l’intégration à grande échelle des énergies alternatives dans les flottes se fait attendre.
« 2023 a été une année mixte composée de rattrapage, de retour à la normale et de tensions économiques, retrace Arnaud Villéger, directeur de l’Observatoire du Véhicule Industriel. Points positifs, 2023 a vu les délais de livraison revenir à la normale, a connu des effets de rattrapage des véhicules neufs au détriment des véhicules d’occasion. Points négatifs, les incertitudes économiques poussent les exploitant à rester prudents en conservant une flotte à isopérimètre, d’où une baisse importante des carnets de commande. Même si un fléchissement de l’inflation et une stabilisation possible des taux sont anticipés, nos prévisions réalistes mais prudentes sur 2024 prévoient une contraction probable des immatriculations ».
Le TRM relativement stable
En pleine conjoncture mi-figue mi-raisin, le transport routier de marchandises ou TRM reste stable (-0,7%). Sur le marché du BTP, bien que les marchés conclus soient en hausse, certains marchés résistent plus que d’autres. En cause : la chute du logement neuf, avec des mises en chantier en recul de -25,4% sur un an, des carnets de commandes en retrait de -21% au 3e trimestre 2023, et une production de granulats au diapason (-4,4% sur un an à fin octobre). « Les JO Paris 2024, la poursuite du Lyon-Turin et le lancement du chantier du Canal Seine Nord, sont néanmoins des signaux positifs », note Arnaud Villéger. Pour l’heure, à fin 2023, les immatriculations des véhicules de plus de 16T sont en hausse de 10,8% à 43 755 unités. « Un niveau honorable mais en retard par rapport à d’autres pays comme l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou le Benelux », nuance-t-il.
Le bâtiment impacte les VI BTP
En France, les immatriculations de porteurs s’élèvent à 20 391 unités en hausse de +10% contre 24 571 unités en 2019. « Globalement, les porteurs carrossés ont progressé de 9,5 % en cumul à novembre par rapport à 2022, avec 18 617 immatriculations. Ce bon résultat arrive après une année 2022 particulièrement morose. On peine encore à atteindre le niveau de 2020-21, légèrement au-dessus de la moyenne à quinze ans qui est de 18 284 unités », commente Arnaud Villéger. Les bennes et véhicules BTP souffrent de difficultés sur le marché du bâtiment, en nette récession. Avec 6 485 immatriculations, le segment se retrouve sous les niveaux d’immatriculations de 2017 à 2022. C’est 24,5 % d’immatriculations en moins par rapport à 2019. La benne est le principal segment qui participe à la baisse de l’ensemble des remorques et semi-remorques. Plombées par les problèmes du BTP, seules 2 194 immatriculations ont été enregistrées sur les onze derniers mois, soit un recul de 24,8 % par rapport à 2022, qui était déjà en recul de 22,0 % sur 2021. En 2018 et 2019, c’était plus de 4 600 unités qui étaient comptabilisées. La moyenne sur quinze ans est très au-dessus, avec 3 043 immatriculations. Globalement, les VI Béton & Travaux s’élèvent à 9 497 unités, en recul de -4%.
Les commandes calent
Les délais de livraison, bien que divisés par deux (en moyenne 150 jours), et même s’ils permettent de purger les carnets de commandes, sont toujours deux fois plus longs que la moyenne pré-Covid, causant un goulet d’étranglement chez les carrossiers. Les commandes reculent sur les porteurs (-10,7% en VN et -11,2% en VO) ainsi que sur les tracteurs (-20,2% en VN et -16,6% en VO), grevées par les investissements réduits dans les parcs, la hausse des prix du matériel neuf et la hausse des prix du VO. Conséquence : les parcs vieillissent. 71% des porteurs affichent 6 ans et plus au compteur. Le marché du VO suit la tendance. Avec des délais de livraison estimés à 61 jours contre 30j entre 2019 et 2022, l’âge du parc s’allonge également.
L’essai se transforme
A coup sûr, 2024 présage du prochain défi du secteur à savoir l’intégration à grande échelle dans les flottes de nouvelles énergies, aujourd’hui encore à l’état embryonnaire. L’intérêt est pourtant bien là. 6,5% des exploitant (sur un panel 30 experts NDLR) se déclarent intéressés par les véhicules à énergies alternatives, dont 40% qui transforment en acte de vente. « C’est une bonne nouvelle, car cela prouve que les opérateurs y croient, poursuit Arnaud Villéger. On assiste par ailleurs à une véritable transformation de la vision des concessionnaires, qui, pour 56% d’entre eux, considèrent important le sujet des nouvelles énergies au regard de leurs objectifs de fidélisation du client ». Sur le terrain, néanmoins, force est de constater que ce sont les gros faiseurs (Transdev, Veolia etc) à faire les volumes. Le pas est encore trop grand à franchir pour des PME-PMI refroidies par les coûts des énergies (cf pics du gaz et de l’électricité). « La globalisation de ces solutions ne passera que par l’étude approfondie des possibilités et des coûts totaux de détentions de chacune d’elle » affirme l’expert. Autrement dit, la décision d’investir sera prise de façon rationnelle en fonction du TCO (1). Ses paramètres ne cessant de se mouvoir, l’attentisme est encore de rigueur.
Des prévisions en demi-teinte
« Outre l’effet de ciseau » caractérisé par la baisse des commandes et les délais de livraison longs, l’année 2024 devra encore face à de nombreuses tensions économiques, inflationnistes, et géopolitiques. Un ralentissement voire une contraction est à prévoir en 2024 qui pourrait atteindre -5,8% (fourchette basse) soit 19 200 porteurs (vs une fourchette haute à +2% et 20 799 unités). « Ne négligeons pas les JO de Paris qui devraient avoir un possible impact significatif, soit 1 mois ou plus de commerce », rappelle Arnaud Villéger. Au-delà du chiffre brut des mises à la route 2024, c’est surtout la hausse des énergies alternatives au diesel dans le mix des commandes à laquelle il faudra être attentif. Cet indicateur étant en effet le révélateur de la volonté - ou la capacité - des entreprises à s’engager pour la baisse de leurs émissions de CO2 en bénéficiant au mieux des politiques publiques de soutien aux énergies « vertes ». « Il apparaît de plus en plus que le choix des nouvelles énergies se fera selon l’usage des exploitants, et que les flottes s’afficheront de plus en plus multi énergies. Cela sous-entend l’émergence de multiples solutions de financement et de gestion, le traitement des énergies différant les unes des autres », conclut le dirigeant.