Les entreprises en charge du transport des passagers et du fret ont décidé d’adopter un langage commun universel pour l’identification et le suivi de leurs matériels. 18 mois après leur première réunion sous l’égide de GS1 France, les acteurs du monde ferroviaire se sont retrouvés pour présenter leurs travaux en matière de standardisation. Une démarche qui doit permettre à terme de réduire les coûts, améliorer la traçabilité des pièces, optimiser la gestion des stocks et mettre en œuvre une maintenance prédictive plus pointue.
Un petit retour en arrière s’impose. En 2017, un certain nombre d’entreprises du ferroviaire, au premier rang desquelles figurent des entreprises de transport, des intégrateurs et des équipementiers, ont sollicité GS1 France pour les aider dans leur démarche de standardisation. Comme d’autres secteurs avant eux, ces acteurs du ferroviaire envisagent d’adopter un standard commun afin d’identifier de façon unique chacun des matériels roulants ou non qui constituent leur univers. Nécessité d’autant plus impérieuse que bon nombre de ces équipements ont un rôle clé en matière de sécurité et qu’ils doivent désormais être interopérables et traçables avec l’ouverture des marchés ferroviaires à l’international. Le 6 octobre 2017, une première réunion organisée par GS1 France avait été l’occasion pour les participants d’écouter les retours d’expériences d’acteurs du rail (CFF et Alstom notamment) ayant choisi le standard international GS1. 18 mois plus tard, ces mêmes acteurs se sont à nouveau réunis pour présenter leurs avancées en matière de standardisation. Etat des lieux.
Retours d’expérience des CFF Lors de cette réunion de travail, Les opérateurs de transport ont souligné dans un premier temps l’importance de n’avoir qu’une seule nomenclature à gérer pour leurs matériels quel qu’en soit le fournisseur. Ce fut également le message adressé par les CFF (Chemins de fer fédéraux Suisse) dans une présentation édifiante. En prenant exemple sur un cas pratique, il démontre comment grâce au GIAI (Global Individual Asset Identifier, le numéro identifiant unique GS1 inscrit sur une étiquette et apposé sur un équipement ou une pièce) inscrit sur un aiguillage qui présente une usure anormale, il est possible de remonter jusqu’à la source du problème. Entrer le GIAI dans les bases de données des CFF, donne en effet accès à l’intégralité de l’historique de la pièce (fiches techniques, rapports de maintenance), autant d’éléments renseignés selon le même standard. Une démarche qui permet de ne négliger aucune hypothèse : défaut de fabrication, qualité de l’acier qui a servi à forger la pièce, défaut de l’outil utilisé pour la soudure, incident survenu lors de la pose de la pièce, problème de nature RH... Mieux, le GIAI facilite la maintenance prédictive. En entrant l’identifiant dans une base de données, les équipes de CFF se sont aperçu que l’aiguillage défectueux faisait partie d’un lot de 9 aiguillages provenant de la même origine. En conclusion de leur intervention les CFF se sont penchés sur la question attendue du retour sur investissement. Pour nos voisins helvètes, les gains sont au rendez-vous : l’utilisation du standard GS1 permet de diviser par deux le nombre d’opérations nécessaires à la récupération et au transfert des identifiants des pièces et équipements. La « continuité numérique » (le GIAI inscrit sur un tag est scanné et transmis via des lecteurs numériques) élimine, en outre, les sources d’erreurs liées à l’intervention humaine (inscription du numéro sur un morceau de papier puis ressaisie dans un répertoire ou un mail…).
La SNCF convaincue du bien-fondé de la démarche Les chemins de fer suisses ne sont pas les seuls convaincus par le standard GS1. Lors de cette matinée, les interventions des représentants de la SNCF sont allées dans le même sens. A commencer par celle de Charles-François Vermeesch, chef de projet à la direction du matériel chez SNCF Mobilités. En charge du déploiement du standard chez l’opérateur national, il insiste lui aussi sur l’accélération des process et sur les risques d’erreurs supprimés grâce à l’utilisation d’un référentiel unique adossé à la « continuité numérique » et à l’automatisation des opérations. En illustration, il explique que la SNCF subit une grande disparité des formats d’identifiants pour ses matériels, certains avec des lettres, d’autres avec des chiffres, certains sont gravés, d’autres sont écrits, certains sont en partie effacés… L’harmonisation s’impose ! 16 000 wagons et la moitié des trains à grande vitesse portent aujourd’hui un identifiant GS1 (via un tag RFID) lu à chaque passage devant les capteurs installés sur le côté des voies. Autres intervenants, mais volonté identique d’aller de l’avant avec Franck Bourgeteau, directeur plateau RER NG et Denis Lenglart, responsable ingénierie TGV, tous deux à la SNCF. L’un et l’autre travaillent sur des projets phares du ferroviaire en France : le RER NG et le TGV 2020. Testé pendant 2 ans, l’identifiant GS1 a été définitivement adopté pour le TGV 2020 ; il est désormais inscrit dans le cahier des charges pour la fabrication du futur train à grande vitesse. Il sera également testé à partir de janvier 2020 sur une rame d’essai du RER NG. Au final, les différentes prises de parole ont ouvert des perspectives particulièrement favorables à la standardisation. Toutes les questions ne sont pas résolues pour autant. La première concerne le choix du standard. Si l’intérêt de s’entendre sur un référentiel unique semble faire l’unanimité, pourquoi retenir celui de GS1 plutôt qu’un autre ? « La question du choix du standard, c’est de savoir apprécier où en est le marché car si vous y allez trop tôt vous prenez des risques mais si vous y allez trop tard vous prenez aussi des risques », a abondé François Meyer, le délégué général de Fer de France. Ce à quoi a répondu Dominik Halbeisen, responsable de la supply-chain chez CFF en expliquant pourquoi les chemins de fer suisses ont préféré le standard GS1, alors que 3 ou 4 autres étaient en ballotage. Il y voit deux raisons : GS1 est le référentiel « le plus répandu dans le monde et donc celui qui nécessite l’investissement le plus réduit » et, « il est porté par une organisation neutre ». Un second argument avancé par François Deprey, président exécutif de GS1 France s’appuie sur le fait que ce sont toujours les acteurs de la filière concernée, dans le cadre d’une démarche collégiale, qui définissent leur propre standard dans l’environnement GS1. Aucune crainte donc que le référentiel soit « imposé » par une entreprise et donne lieu à une guerre entre systèmes propriétaires.
Quelles technologies retenir ? Après le choix du standard se pose également celui de la technologie retenue pour coder l’identifiant : RFID, datamatrix, inscription en clair… Cette question très pratique avec ses implications financières a donné lieu à de nombreux échanges entre les intervenants et la salle. A l’issue, il en ressort que la solution idéale est mixte. Quand la taille de la pièce le permet, son identifiant gagne à être inscrit dans les trois formats : en clair, dans un datamatrix et dans un tag RFID. Et s’il faut faire un choix ? La RFID permet de lire plusieurs tags à la fois et à de plus grandes distances, ce qui n’est pas le cas du datamatrix. En revanche, elle impose d’investir dans des lecteurs RFID quand un simple smartphone suffit à scanner un datamatrix.
Convaincre l’ensemble de la filière Le dernier chapitre de cette matinée de conférence a porté sur les prochaines étapes de la standardisation. Car l’adoption du référentiel GS1 par les opérateurs réseau ne signifie pas la fin de l’histoire. Bien au contraire. Le succès d’un standard est étroitement lié à son adoption par l’ensemble des intervenants de la filière. La filière du ferroviaire doit poursuivre sa structuration autour d’un référentiel commun. Les « intégrateurs » (Alstom, Siemens, Bombardier…) et les fabricants de pièces détachées sont invités à rejoindre le mouvement. Certains d’entre eux ont d’ores et déjà commencé à le faire à la faveur de projets comme le TGV 2020 ou le RER NG. « A la SNCF, la première étape a consisté à déployer le standard GS1 sur les matériels roulants, la deuxième étape passera par la collaboration à l’échelle de la filière afin d’identifier les pièces détachées destinées à la maintenance », a précisé de son côté Charles-François Vermeesch. La prochaine étape est évidemment celle du passage à l’échelle européenne. Une petite révolution culturelle pour les acteurs de la filière, des fabricants aux équipes de maintenance sur le terrain mais avec, à la clé, des gains promis pour l’ensemble de la filière.