BTP Rail : Cela fait bientôt 6 ans que vous êtes à la tête de Geismar France, pourtant vous êtes encore l’une des rares femmes chef d’entreprise dans un secteur réputé masculin. Quelle a été votre approche ?
Alexandra Curiel : Je ne m’attendais pas à cette question (rires). J’ai l’habitude des univers d’hommes car j’ai débuté ma carrière dans la banque d’affaires qui est un environnement extrêmement masculin. Je n’ai donc pas été perturbée ou étonnée en arrivant dans l’entreprise. Avant d’être nommée DG j’ai occupé le poste de secrétaire générale puis de directrice financière. Ce parcours m’a permis de comprendre comment fonctionnait la société et d’acquérir une bonne connaissance du secteur ferroviaire. De fait, quand j’ai pris le poste de directrice générale, mon approche n’a pas été différente, je pense, de celle qu’aurait adoptée un homme : comprendre la dynamique du marché, les attentes des clients, celles des collaborateurs également. Certes le ferroviaire est un environnement très masculin de par la nature des travaux mais il n’est pas « macho » pour autant. En revanche, c’est une industrie complexe comme de nombreux marchés et métiers, mais qui regroupe des personnes passionnées qui ont un but commun, une haute idée de l’intérêt général et du service public… S’il est vrai qu’il n’y a pas assez de femmes à tous les niveaux de l’industrie, il n’y a aucune raison pour que les choses n’évoluent pas.
BTP Rail : Quelle est votre stratégie pour maintenir Geismar en position de leader ?
A.C. : J’essaie de faire perdurer l’ADN de Geismar qui est un savant équilibre entre innovation et tradition depuis bientôt 100 ans… Aujourd’hui, avec l’ensemble des collaborateurs, nous perpétuons cette volonté d’accompagner nos clients et d’innover pour eux en nous appuyant sur nos bureaux d’études. En effet, chacun de nos sites de production est spécialisé dans un domaine précis du ferroviaire et bénéficie d’une ingénierie dédiée. Ainsi, en France, le site historique de Colmar est dédié à la voie, celui de Rhône aux camions rail-route et nacelles élévatrices, celui d’Alpes au matériel léger d’entretien, et enfin celui de Provence pour les portiques de pose de voie. Le site italien est quant à lui consacré aux draisines et aux pelles hydrauliques ferroviaires. Enfin notre usine aux États-Unis, ouverte en 2017, est dédiée au marché nord-américain qui répond à des contraintes et à des dynamiques spécifiques. Ayant acquis un savoir-faire extrêmement fort dans tous les domaines du ferroviaire, notre stratégie est de faire bénéficier nos clients de cette expertise et d’accompagner leur développement avec des produits sûrs, polyvalents, respectueux de l’environnement et parfaitement adaptés à leurs besoins et ce quel que soit le pays où ils se trouvent grâce à notre puissant réseau à l’international.
BTP Rail : Quelles sont les parts de marché France vs International ?
A.C. : Si la France est notre berceau, Geismar réalise aujourd’hui entre 85 % et 90 % de son chiffre d’affaires en dehors de nos frontières. Les États-Unis sont notre principal marché à l’export mais nous avons la chance d’avoir une présence établie sur tous les continents. Actuellement, nos deux plus gros contrats à l’international concernent le Canada, où nous finalisons un contrat de pousseurs tout électrique pour réseau urbain et l’Allemagne avec la fourniture de 50 draisines pour la Deutsche Bahn. Nos innovations répondent aux normes des marchés français et européens qui sont les plus exigeantes et nous permettent ainsi de rayonner partout dans le monde.
BTP Rail : Avez-vous une vision pérenne sur les travaux ferroviaires à venir ?
A.C. : Nous avons la chance d’être bien positionnés sur un secteur dont la croissance régulière est tirée par le développement des échanges mondiaux, l’urbanisation et l’écologie (le rail étant le moyen de transport de masse le moins polluant). Notre présence internationale est une force car elle nous permet de nous confronter à des problématiques très variées. Nous avons donc développé une palette de solutions très diverses dont nous pouvons faire bénéficier d’autres clients. Par exemple, nous proposons dans certains pays des solutions aux coûts d’acquisition et d’entretien plus faibles qui sont totalement sécurisées pour les opérateurs avec la qualité Geismar. Ces équipements conviendraient tout à fait pour gérer de façon efficace des voies secondaires ou peu utilisées de réseaux matures tels que ceux que nous rencontrons en Europe. Je pense qu’il faut se mettre autour de la table et réfléchir sur la possibilité d’avoir des solutions plus « light » ou un peu différentes pour les lignes dont les budgets de maintenance sont plus faibles. Sur ce point nous pouvons partager l’expérience que nous avons acquise autour du globe.
« En tant que pionnier, Geismar travaille sur les équipements décarbonés depuis 20 ans » Alexandra Curiel
BTP Rail : En parlant d’innovations, la gamme « Activion » a-t-elle répondu à vos attentes ?
A.C. : En tant que pionnier, nous travaillons sur les équipements décarbonés depuis 20 ans. La gamme Activion, qui regroupe l’ensemble de ces produits est très prometteuse et répond à un marché qui sera à l’avenir de plus en plus important. A ce titre, 2022 est une année charnière puisque nous observons une réelle montée en puissance des ventes de nos équipements légers décarbonés. Nous proposons des outils « propres » à nos clients et sommes capables de décarboner tous nos équipements. De fait, nous répondons à une demande du marché de plus en plus forte et pour laquelle nous avons plusieurs contrats en cours qu’il s’agisse de bi-mode ou de « full décarboné ». Aujourd’hui, le principal frein à un développement plus important de l’électrique est la réorganisation logistique que cette transition implique chez nos clients car le passage du thermique au zéro émission nécessite de s’organiser différemment et de changer les habitudes.
BTP Rail : Entre inflation et crise de l’énergie vos développements sont-ils impactés ?
A. C. : Nous sommes impactés comme tous les acteurs du secteur industriel. Nous devons composer à la fois avec une inflation forte et des pénuries de composants hydrauliques ou électriques par exemple. Certains de nos fournisseurs ont fermé leur carnet de commandes par manque de pièces, d’autres nous demandent de nous engager 1 an à l’avance… Cette situation pour le moins disruptive se répercute sur la charge de travail des équipes mais aussi parfois sur les délais de livraison.
BTP Rail : Vous proposez un service de Rétrofit… Comment celui-ci est-il perçu ?
A.C. : Il est très bien perçu par nos clients car le kit AGX permet de « rétrofiter » des équipements légers sans avoir à racheter la partie mécanique de la machine. Cette solution a un double impact : écologique et économique en prolongeant la durée de vie d’équipements encore performants. Proposer ce type de service était important pour nous. Encore une fois, l’environnement et la décarbonisation sont depuis très longtemps une priorité chez Geismar. Le concept d’obsolescence programmée est aux antipodes de ce que nous faisons. Nous concevons et fabriquons des produits faits pour durer des décennies, le rétrofit permet de profiter d’une machine fiable, fonctionnelle et propre à moindre coût environnemental et financier.
BTP Rail : Ce service porte sur quelle gamme d’équipement ?
A.C. : Le rétrofit concerne déjà six de nos machines légères. Toutefois, nous aimerions développer ce service sur beaucoup plus de machines, mais nous rencontrons des problématiques de taille, de faisabilité technique… Dès que ces points seront résolus, nous permettrons à nos clients de rétrofiter leurs équipements simplement sans qu’ils nous les renvoient, ce qui va dans le sens de l’écologie. Nous voulons éviter que nos clients attendent la fin de vie de leurs machines Geismar (que nous avons construites pour durer) pour passer au vert.
BTP Rail : Vous privilégiez la piste électrique, pour autant l’hydrogène intéresse de nombreux constructeurs. Est-ce une solution pour Geismar ?
A.C. : L’hydrogène est une énergie qui nous intéresse. Avec nos clients, nous avons développé des solutions pour les équipements lourds comme les draisines. Toutefois, si de nombreuses entreprises pensent à utiliser cette énergie, les infrastructures ne sont pas encore suffisamment développées. C’est pourquoi nous travaillons sur des solutions modulaires permettant de changer de source d’énergie. Nos clients commenceraient par une batterie puis basculeraient sur l’hydrogène. Toutes les solutions sont possibles.
BTP Rail : Cela nous mène aux salons IAF et InnoTrans sur lesquels Geismar était présent. Que représentent ces rendez-vous pour vous ?
A.C. : En tant que société internationale, ces rendez-vous sont très importants. Ce qui est d’autant plus vrai cette année après la crise sanitaire. Lors de ces salons nous pouvons ressentir les tendances du marché. Sur l’IAF nous avons exposé près de 35 machines pour présenter nos innovations propres ou développées avec nos clients. Cette démarche nous apporte une bonne vision de l’intérêt du marché et enrichit la préparation de notre roadmap R&D. Après 5 ans d’absence le retour de l’IAF a pris une dimension extrêmement forte, car nous avons eu des échanges poussés et ouverts avec nos clients. Nous avons également pu réunir physiquement une grande partie de nos collaborateurs du monde entier ce qui était très appréciable après deux années de visio conférences !
« IAF, Innotrans, les salons nous permettent de ressentir les tendances du marchés » Alexandra Curiel
BTP Rail : En 2023 aura lieu le Sifer, serez-vous présents sur cet événement ?
A.C. : Oui, nous serons également présents sur le Sifer où nous présenterons un complément de la gamme Activion que nous continuons d’étoffer avec le développement continu de machines légères.
BTP Rail : D’autres projets à venir ?
A.C. : Nous avons toujours beaucoup d’idées et de projets chez Geismar ! Nous nous concentrons actuellement sur les enjeux de la soudure en voie avec des solutions innovantes alliant flexibilité et qualité de réalisation. Nous continuons également à perfectionner les machines qui ont fait la réputation de notre marque et nous poursuivons nos efforts pour décarboner une palette toujours plus large d’équipements que nous commercialisons sous le label Activion.