Le compte à rebours est lancé. À partir de 2035, voitures et autres utilitaires légers vendus en Europe ne pourront plus sortir d’usine équipés d’un moteur thermique. Et s’ils ne sont pour l’heure pas directement concernés, les poids-lourds pourraient à terme suivre le même chemin. « Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’UE et atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, la flotte de poids-lourds doit être entièrement décarbonée », plaide en effet la Fédération européenne pour le transport et l’environnement (Transport & Environment, T&E).
Dans une publication datée de septembre 2022, l’association paneuropéenne appelle ainsi à la fin des ventes des camions à moteur thermique d’ici à 2035. Une échéance repoussée à 2040 pour les poids-lourds à usage spécifique, tels que les bennes à ordures ménagères (BOM). « Pour [ce type de camion], un premier objectif de 15 % de véhicules zéro-émission devrait être fixé à 2027. Les objectifs suivants devraient être fixés à 30 % en 2030, 80 % en 2035 […] et la cible des 100 % devrait être visée pour 2040 », précise T&E.
Fabricants de camions-porteurs et carrossiers avancent ainsi main dans la main pour mettre sur le marché des bennes de collecte de plus en plus propres.
Du GNV à l’hybride diesel
« Nous avons développé avec Scania les premiers camions BOM GNV », se remémore Christophe Bigre, directeur commercial de Manjot Environnement, filiale du leader français des solutions de collecte et de nettoiement Semat, installée à Vénissieux et spécialisée dans le matériel de collecte par grue sur les points d’apport volontaire.
Partenaires depuis une douzaine d’années, les deux acteurs ont franchi une étape supplémentaire en dévoilant - en juin 2022 - lors de l’IFAT Munich - un camion porteur grue en version hybride rechargeable (PHEV). Une première en France. « [Ce véhicule de collecte] dispose d’une vignette Crit’Air 1 qui lui permet d’évoluer sans restriction dans les ZFEm. Il peut être utilisé en 100 % électrique dans certaines zones sensibles, tout en conservant l’autonomie d’un diesel », explique Pascal Crestin, chef de produit électrique chez Scania France. Dotée de trois batteries d’une capacité de 90 kWh, cette version PHEV du Scania P 360 B6x2*4NA bénéficie d’une autonomie pouvant atteindre les 60 kilomètres en mode 100 % électrique. « La grue elle-même est capable de fonctionner en mode 100 % électrique, ce qui permet de limiter le bruit pour les riverains tout en restant totalement neutre en termes d’émissions de CO₂ », précise Scania France dans un communiqué.
En cas de besoin, la motorisation thermique de 360 chevaux peut également entrer en action. Fonctionnant au gazole B7, le moteur à combustion interne peut aussi être alimenté par du biodiesel (B100) et du gazole de synthèse (HVO). Des carburants plus vertueux dont la consommation est, en outre, limitée grâce à l’hybridation : « Le PHEV permet de diminuer sensiblement la consommation. Ce sont en effet les démarrages à pleine charge qui consomment le plus et une BOM doit en faire beaucoup en usage urbain. Sur un véhicule hybride, le moteur électrique vient se coupler au moteur thermique au démarrage. La consommation de gazole baisse [ainsi] jusqu’à 40 % », assure Pascal Crestin.
Bénéficiant également des dernières technologies en matière de collecte - un nouveau caisson compacteur ainsi que du modèle de grue le plus récent développé par Manjot -, le véhicule fait véritablement figure de vitrine pour la filiale de Semat et son partenaire Scania ; qui ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là.
Après avoir investi 10 millions d’euros en 2018 dans la gigafactory de batteries développée par Northvolt, le constructeur suédois mise en effet, au-delà de l’hybride, sur les véhicules 100 % électriques ; y compris pour ses camions carrossés en BOM. Scania a ainsi annoncé en mars dernier avoir reçu la commande de pas moins de 72 bennes de collecte à batteries par l’entreprise publique danoise ARC, en charge de la gestion des déchets dans la capitale du pays. « Les deux premiers camions de la série L entièrement électriques ont été livrés en décembre 2021.
Le reste de la flotte sera livré courant 2022 et au cours du premier semestre 2023 », dévoilait ainsi le constructeur dans un communiqué publié en mars dernier. Un beau succès que Scania semble avoir l’ambition de reproduire sur d’autres marchés, dont la France. En témoigne la grande opération « e-mobilité » organisée par la filiale française du constructeur en octobre dernier pour présenter à ses clients ses solutions vertueuses ; notamment 100 % électriques. Le marché hexagonal de la BOM à batteries reste toutefois, pour l’heure, trusté par un autre acteur : Renault Trucks.
Renault Trucks, maître incontesté du marché de la BOM 100 % électrique
Représentant à lui seul plus de 90 % des ventes de camions électriques à batteries en France, Renault Trucks fait également figure de leader historique sur le créneau de la benne à ordure ménagère avec plus de 71 % de parts de marché. « Nous proposons un produit 100 % adapté au marché français, qui a été développé de très longue date aux côtés de nos partenaires carrossiers, et reconnu pour sa fiabilité. Cela a été la base de notre développement vers le véhicule de collecte électrique », explique Grégory Ivanchak, responsable commercial grands comptes chez Renault Trucks France.
Outre sa position de leader, le constructeur français s’est ainsi également imposé en tant que précurseur en livrant il y a plus de trois ans à la Métropole de Lyon la toute première BOM 100 % électrique, basée sur un châssis D Wide Z.E. de présérie, carrossé par Faun Environnement. Un modèle pionnier suivi d’une production de série dont le succès ne se dément pas. Outre l’annonce en novembre dernier de la commande de 73 camions électriques destinés au nettoyage et à la collecte de déchets à Barcelone, l’un des derniers exemples en date au niveau hexagonal est ainsi celui de Sepur, qui a mis en service en septembre dernier pas moins de 18 BOM 100 % électriques basées sur le modèle E-Tech D Wide de Renault Trucks et carrossées par Semat.
« Nous avons frappé fort avec ce modèle qu’est le D 26 Wide E-Tech. Il se révèle particulièrement adapté à la collecte d’ordures ménagères pour plusieurs raisons. La première est qu’il dispose d’une charge utile quasiment équivalente à son équivalent thermique. Son autonomie est elle aussi parfaitement adaptée : avec 80 km, cela permet d’assurer environ 7h de collecte », fait valoir Grégory Ivanchak.
S’ajoute à cela l’empattement de 3900 mm du modèle électrique, très proche de celui d’un véhicule thermique. « La prise de mouvement permet aussi au D Wide E-Tech d’être carrossable avec la même aisance que les modèles thermiques par toutes les entreprises que l’on connait en France ; Semat, Faun ou encore Terberg », ajoute Grégory Ivanchak.
C’est ainsi tout naturellement que le leader de la gestion des déchets Sepur s’est laissé séduire par ce modèle pour assurer la collecte dans le XIIIe arrondissement de Paris.
Renault D Wide E-Tech : un choix naturel pour Sepur
« Nous entretenons des liens forts avec Renault depuis très longtemps. Nous avons par ailleurs entamé en 2014 une démarche de verdissement de notre flotte, dans laquelle Renault nous accompagne très étroitement, que ce soit sur le GNV, les biocarburants, mais aussi désormais sur l’électrique », explique Philippe Crassous, directeur matériel et achat chez Sepur, qui vise le zéro gazole à l’horizon 2025 et un renouvellement progressif de son parc avec des véhicules dotés uniquement de motorisations propres.
Cette flotte de 18 D Wide E-Tech va ainsi permettre d’assurer une centaine de collectes par semaine auprès des quelque 180 000 habitants du XIIIe arrondissement parisien. « Ce qui équivaut à 21 tonnes d’émissions de CO₂ évitées par rapport à des collectes qui auraient été effectuées par motorisation GNV », avancent ainsi dans un communiqué commun Sepur et Renault Trucks.
« Notre objectif était d’accompagner la ville de Paris, un partenaire de longue date, au-delà de ses attentes, en lui offrant une solution 100 % décarbonée, mais également zéro nuisances », ajoute Philippe Crassous. L’absence de nuisances sonores est en effet un autre atout de taille des BOM à batteries, apprécié tant par les riverains que par les chauffeurs et rippeurs.
Après ce premier déploiement d’envergure d’une flotte électrique, Sepur espère ainsi pouvoir faire de même dans d’autres zones de collecte, comme le dévoile son directeur matériel et achat Philippe Crassous : « Nous avons réalisé une phase d’étude du véhicule électrique en amont de son utilisation à Paris ; et ce dans différents environnements, afin de nous assurer que ce déploiement soit duplicable dans d’autres territoires ruraux ou de banlieue parisienne ».
Une perspective déjà concrétisée, puisque ce ne sont pas moins de vingt nouveaux véhicules électriques que Sepur a commandés pour assurer la collecte sur deux autres territoires d’Ile-de-France. « Ils sont en cours de carrossage, et même pour certains déjà en cours d’immatriculation. Les livraisons vont s’étaler de décembre 2022 à mars 2023 », dévoile Philippe Crassous. Fin mars, Sepur disposera ainsi d’une cinquantaine de BOM électriques, soit près de 5 % de son parc.
Questions à : Grégory Ivanchak
Responsable commercial grands comptes Renault Trucks France
En matière de coûts, quelle comparaison peut-on établir entre véhicules de collecte thermiques et électriques ?
La question du coût est évidemment l’une des plus importantes pour nos clients. Il faut toutefois commencer par souligner que le matériel ne représente « que » 30 % du coût total de la collecte… Ceci étant dit, il faut raisonner en matière de TCO. Ce coût total de possession est en effet lié au coût d’achat de l’énergie par nos clients, à la durée d’amortissement du matériel ainsi qu’aux différentes aides à l’achat.
En optimisant ce TCO sur l’électrique, notamment sur des durées assez longues, on arrive à être plus performant qu’avec un véhicule gaz, voire qu’avec un véhicule diesel. Ceci reste bien sur propre à chaque client et à ses cycles d’usage.
Avec un TCO identique voire favorable, l’électrique offre en outre des prestations bien supérieures pour les conducteurs, mais aussi les usagers, notamment en matière de diminution des nuisances sonores.
Quels sont vos objectifs en matière de développement de l’électrique ? L’hydrogène fait-il éventuellement partie des pistes que vous explorez ?
Notre objectif principal est celui d’avoir un parc complètement décarboné en 2050, ce qui implique que nous proposions 100 % de solutions décarbonnées dès 2040. L’électrique représentera une part très importante de ces solutions vertueuses. Pour la collecte de déchets en particulier, il n’y a plus de freins pour passer au 100 % électrique.
Il s’agit d’un vrai changement de paradigme, qui implique un accompagnement complet des exploitants ; du choix du véhicule jusqu’au déploiement de la solution de recharge en passant par la partie financement.
En ce qui concerne l’hydrogène, il n’existe pour l’heure pas forcément le besoin de passer sur des véhicules de ce type. Sur les marchés de la distribution urbaine et de l’environnement, la batterie fait le job et engendre moins de pertes sur toute la chaîne de production de l’énergie. Le rendement final de la chaîne hydrogène avoisine en effet les 10 %, alors qu’il grimpe à 62 % pour la batterie.
L’hydrogène pourrait toutefois avoir un intérêt lorsque nous disposerons d’électricité fatale, produite par les EnR. Nous avons ainsi des projets en la matière, notamment un avant-projet autour du moteur hydrogène à combustion interne. Nous avons la volonté de nous ouvrir, même si nous sommes convaincus que les batteries restent à moyen terme la solution la plus pertinente pour le secteur de l’environnement.
Zoom : Allison Transmission investit un marché encore timide : celui de la BOM hydrogène
En avril dernier, le spécialiste des solutions de propulsion et leader des systèmes électrifiés Allison Transmission a annoncé avoir été choisi pour fournir le système de propulsion de la première BOM à hydrogène du Royaume-Uni.
Basé sur le châssis Mercedes-Benz Econic Hydrogen, le véhicule carrossé en BOM par le spécialiste néerlandais Geesinknorba est doté d’une pile à combustible de 45 kW, alimentée en hydrogène stocké à 350 bars dans un réservoir d’une capacité de 15 kg. S’ajoute à cela 140 kWh de batteries 700 volts.
Le système alimente ainsi un moteur électrique Hyzon de 250 kW combiné à une transmission 3000 Series d’Allison ; avec, à la clé, une autonomie de 250 kilomètres.
« Ce véhicule a été mis en service en mars pour assurer un cycle de collecte d’ordures ménagères qui comprend des arrêts et des redémarrages constants pendant 7 heures et demi par jour ; et ce 5 jours par semaine », précise Allison Transmission dans un communiqué.
Un véritable défi pour un embrayage conventionnel, qu’Allison remplace ainsi par un convertisseur de couple dont elle détient le brevet. « Cela réduit les besoins de maintenance et facilite la conduite, rendant les véhicules plus faciles à contrôler lors des arrêts-redémarrages et des manœuvres à basse vitesse. La transmission Allison fournit également la prise de force nécessaire aux véhicules tels que les camions de collecte des déchets », souligne la marque basée dans l’Indiana, aux États-Unis.
En France, l’une des premières BOM hydrogène a été livrée fin 2020 par Semat à la communauté de communes Touraine Vallée de l’Indre. Un véhicule de collecte lui aussi conçu autour du châssis Econic de Mercedes-Benz. En 2021, Angers, Le Mans et Dijon ont à leur tour annoncé l’achat groupé de plusieurs dizaines de BOM hydrogène, dont les premières livraisons devraient intervenir début 2023. De l’ordre de 700 à 800 k€, le coût d’achat de ces véhicules reste toutefois un frein à leur démocratisation.