Le Plan Eau présenté par Emmanuel Macron abordait beaucoup de thèmes dont, notamment, l’utilisation des eaux non conventionnelles. Un sujet très épineux en France tant notre pays est frileux au sujet de ces eaux alors que nos voisins profitent de plus en plus de cette ressource. Jérémie Steininger, le délégué général de l’Atep, nous livre sa pensée.
Peut-on se féliciter de la publication des textes sur les eaux non conventionnelles ? Jérémie Steininger : Oui, bien sûr ! La publication du décret et de l’arrêté du 12 juillet 2024 sur les usages domestiques des eaux impropres à la consommation humaine (EICH) étaient très attendus. Le nouveau cadre règlementaire entre en vigueur au 1er septembre 2024. Il définit les usages domestiques de l’eau (tels que l’alimentation des toilettes, le nettoyage des espaces extérieurs, voire intérieurs, l’arrosage des espaces verts, le lavage des véhicules…) pour lesquels le recours à des eaux impropres à la consommation humaine (les eaux brutes, les eaux grises et les eaux de piscine à usage collectif) est possible.
Pourquoi était-ce si attendu ? Parce que les eaux dites « non-conventionnelles » (ENC) recèlent un potentiel inestimable. Parmi elles, les eaux usées traitées sont les plus connues. Mais elles ne sont pas les seules à être concernées puisqu’il faudrait en réalité raisonner avec un ensemble d’une dizaine d’autres eaux comme les eaux de pluie, les eaux pluviales, les eaux grises, les eaux de piscine, les eaux issues des industries. En période de tension sur la ressource, c’est un gisement que l’on ne peut négliger.
La France est-elle vraiment en retard ? Oui. Nous avons toujours historiquement été en retard que ce soit face à l’Allemagne, l’Angleterre ou encore l’Espagne. Dans certaines régions comme en Catalogne ou sur les Iles Baléares, le traitement des eaux grises pour l’alimentation des toilettes est rendu obligatoire pour la délivrance d’un permis de construire.
Pourquoi traine-t-on les pieds ? En France, ce qui n’est pas réglementé est interdit. De fait, la profession du bâtiment (architectes, bureaux d’études, installateurs, fabricants…) était jusqu’alors bloquée par un impensé sur les EICH. Mais le grand public a poussé pour que ces eaux soient prises en compte grâce à une prise de conscience sur l’importance de préserver la ressource eau. Un sondage Agora de novembre 2023 administré auprès de 16 792 participants confirmait cette évolution des mentalités en précisant que parmi les sondés 97 % accepteraient que l’eau utilisée pour le lave-linge soit réutilisée pour les toilettes. Une avancée majeure en termes d’acceptabilité !
Qu’est-ce qui change vraiment avec ce décret ? Ce texte vient libérer réglementairement les freins qui entravaient encore l’utilisation de ces eaux impropres à la consommation dans le cadre domestique au profit d’habitat privé, de bâtiments collectifs, d’établissements recevant du public. Avec la publication du décret, le cadre réglementaire est clarifié et le retard, rattrapé !
Tout va bien alors ? Il faut rester prudent et veiller à éviter une trop grande rigidité. Le temps des maîtres d’ouvrage n’est pas le temps de l’administration. La profession sera donc très attentive à la simplification administrative, d’autant plus pour ce qui relève du dérogatoire comme pour les établissements recevant du public sensible et pour lesquels il faudra, par exemple, effectuer une demande d’autorisation préfectorale. Sachant qu’il avait été rapporté dans le Plan Eau que les préfets devaient être des facilitateurs dans l’instruction de dossiers et spécifiquement dans le cadre expérimental et dérogatoire.
C’est quand même un grand changement pour la profession, non ? Effectivement. Les bureaux d’études environnementaux, les architectes mais aussi des cibles très opérationnelles telles que les plombiers vont devoir s’adapter et surtout, adopter de nouvelles pratiques en intégrant dès l’origine des réseaux intérieurs de distribution des eaux impropres à la consommation humaine en complément du réseau d’eau potable. Dans les nouvelles constructions, il est donc impératif d’intégrer dès à présent un double-réseau. De nouvelles habitudes doivent être encouragées pour créer des réflexes et exhorter au passage à l’acte comme l’obligation de mettre en œuvre un circuit de communication (prises RJ45) dans un logement neuf depuis le 1er septembre 2016.